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jetant au-devant de lui pour le féliciter : « Ne me complimentez pas, Messieurs, aurait-il dit, cet homme est un lion ! »

Là-dessus Daudet arrive, et dit que ç’a été féroce, et qu’il a été au moment de se battre avec Meyer. Et le voilà à nous peindre le lieu du combat, une ancienne propriété du baron Hirsch, un paysage à grandes lignes, dans lequel des chevaux en liberté s’approchaient bêtement des combattants. Et il nous peint Drumont blessé, sa culotte tombée à terre, sur le pas de la grange où on l’avait entraîné, tapant sur le pan de sa chemise, toute mouillée de sang, et criant exaspéré à Meyer et à ses témoins : « Au Ghetto, sales juifs, vous êtes des assassins… c’est vous qui avez choisi cette maison ayant appartenu à Hirsch, et qui devait me porter malheur ! » Et Daudet ajoute : « Cet homme sans tenue, se livrant à ce débordement canaille, était superbe. »

Puis un moment, absorbé dans le souvenir de la beauté du jour, de la grandeur du paysage, de la sérénité des choses, Daudet dit, qu’au milieu de cela, ces deux êtres, avec leurs mouvements désordonnés pour se tuer, lui semblaient tragiquement comiques.

Mercredi 28 avril. — Oui, j’ai le dédain de l’humanité, que je côtoie chez les grands, et le laisse un peu trop voir, mais j’en ai le droit, ayant mé-