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sée. Un vrai maître de la chair que ce Rodin. Une merveille du sculpteur c’est son buste de Dalou, exécuté en cire, dans une cire verte transparente qui joue le jade. On ne peut se faire une idée de la caresse de l’ébauchoir dans le modelage des paupières, et de la délicate nervure du nez.

Le grand artiste, avec les otages de Calais, il n’a vraiment pas de chance. Le banquier qui était le dépositaire des fonds a pris la fuite, et Rodin ne sait pas s’il pourra être payé, et cependant l’ouvrage est si avancé qu’il faut l’achever, et pour le finir, ça va lui coûter 4 500 francs de modèles, d’atelier.

De son atelier du boulevard de Vaugirard, Rodin nous mène à son atelier près de l’École-Militaire, voir sa fameuse porte, destinée au palais futur des Arts décoratifs. C’est sur les deux immenses panneaux, un fouillis, un emmêlement, un enchevêtrement, quelque chose comme la concrétion d’un banc de madrépores. Puis, au bout de quelques secondes, le regard perçoit dans ces apparences de madrépores du premier moment, les ressauts et les rentrants, les saillies et les cavités de tout un monde de délicieuses petites académies, pour ainsi dire, remuantes, que la sculpture de Rodin a l’air d’emprunter à l’épique dégringolade du « Jugement dernier » de Michel-Ange, et même à de certaines ruées de multitudes, dans les tableaux de Delacroix, et cela avec un relief sans exemple, et que lui seul et Dalou ont osé.

L’atelier de la rue de Vaugirard renferme une