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Tout avocat qu’il était, mon interlocuteur partageait mon avis, et partait de là pour me signaler le chapardage — c’était le mot dont il se servait — le chapardage de toute la basse gent du palais. Il me montrait tous les avocats de deux sous, tous les avocats sans cause, tous les avocats sans talent et sans honorabilité, aidés, poussés par Crémieux, dans la curée des places de la haute administration.

Et dans le moment où la pensée de la France était, tout entière, tournée contre les Prussiens, dans ce moment même — ah ! je n’oublierai jamais le tableau qu’il me faisait de ce cabinet, occupé seulement et uniquement de destitutions, de ce cabinet où la porte, à tout moment violemment poussée, livrait passage à un intrus, qui, sans dire gare ni bonjour, jetait à pleine gueule : « Crémieux, délivre-nous de Robinet, de Chabouillot… nous n’en voulons plus. » Et après cet intrus, un autre intrus, demandant la démission d’un autre procureur impérial, aussitôt obtenue de la bienveillance gâteuse du ministre.

La jolie scène de comédie, que cette scène qu’il me racontait, et où il avait été acteur. M. P… avait un beau-frère, procureur impérial à Blois. La sœur de M. P…, qui tenait à la position de son mari, lui écrivait, lui demandant d’user de son influence, de ses relations avec les hommes du gouvernement, pour le faire maintenir. Il était contraire à la démarche, pensant qu’une destitution serait plus tard un titre pour son beau-frère ; cependant, sur l’insistance