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Lundi 5 décembre. — Saint-Victor, dans son feuilleton d’hier, disait, d’une manière brillante, que la France devait perdre la conception que jusqu’ici elle s’était faite de l’Allemagne, de ce pays qu’elle s’était habituée à considérer, sur la foi des poètes, comme la patrie de la bonhomie et de l’innocence, comme le nid sentimental des amours platoniques. Il rappelait que le monde idéal et fictif des Werther et des Charlotte, des Hermann et des Dorothée, avait produit les soldats les plus durs, les diplomates les plus perfides, les banquiers les plus retors ; il aurait pu ajouter les courtisanes les plus dévoratrices. Il faut nous mettre en garde contre cette race, éveillant en nous l’idée de la candeur de nos enfants : leur blondeur à eux, c’est l’hypocrisie et l’implacabilité sournoises des races slaves.

Des hauts et des bas d’espérance qui vous tuent. On se croit sauvé ! Puis on se sent perdu ! Ces jours-ci, nous avions traversé les lignes ennemies, l’armée de Paris donnait la main à l’armée de la Loire. Aujourd’hui, le repassage de la Marne, par Ducrot, vous rejette dans le noir de l’insuccès et de la désespérance.

À tout coin de rue, d’affreux tableaux : des voitures d’où l’on tire des hommes, la tête voilée d’une serviette, tachée de sang.

Aux Halles, disette même d’herbes et de légumes. Les petites tables, qu’ont devant elles les marchandes, sont nettes de toute verdure. Par-ci, par-là, une marchande tire, parcimonieusement, d’un panier,