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cour des Miracles. C’est la rentrée des maraudeurs. Figurez-vous toutes les laideurs, habillées de toutes les fantaisies de la loque. On y voit des attelées d’hommes poussant de lourds chariots, chargés de pommes de terre, à côté de petits enfants traînant quelque chose de vert, dans une boîte à cigares, attachée au bout d’une ficelle. On y voit, marchant courbées, ployées en deux, des femmes aux robes luisantes de pluie, les bas jambardés de boue jusqu’au derrière. On y voit d’autres femmes, lesquelles, des retroussis de leurs cotillons, s’étant fait des poches tout autour d’elles, mettent au jour de grands morceaux impudiques de chair. On y voit encore des fillettes qui, dans l’effort de porter un petit sac sur leurs têtes, montrent tendu en avant, sous le placage de la robe mouillée, le dessin menu de leur petit ventre, de leurs cuisses grêles.

Et un voyou, qu’on dirait avoir posé pour Gavarni, dans une planche de Vireloque, ferme la marche, brandissant au bout de son bras, levé en l’air, un long chat noir fraîchement écorché.

Une voiture trouvée par hasard, me ramène le long de chemins inconnus, à la porte du rempart de la Chapelle.

Je passe entre des coins de champs bouleversés, des clôtures arrachées, des abatis de grands arbres, des amoncellements de pierres, entre des maisons sans portes ni fenêtres, où s’accroche encore le squelette d’un arbuste, à demi déraciné, entre les murs de rues entières, sans une lumière, sans un passant,