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dans le creux d’une jupe ; et d’autres rebroussent, avec leurs branches d’ivoire, un vague sourire heureux sur de toutes petites dents blanches. Les bouches détendues, les lèvres doucement entr’ouvertes, semblent aspirer une volupté qui vole.

Pas une femme n’ose presque regarder la musique en face. Beaucoup, la tête inclinée sur l’épaule, restent un peu penchées comme sur quelque chose qui leur parlerait à l’oreille ; et celles-ci, laissant tomber l’ombre de leur menton sur les fils de perles de leur cou, paraissent écouter au fond d’elles.

Par moments, la note douloureusement raclée sur un violoncelle, fait tressaillir leur engourdissement ravi ; et des pâleurs d’une seconde, des diaphanéités d’un instant, à peine visibles, passent sur leur peau qui frémit ; suspendues sur le bruit, toutes vibrantes et caressées, elles semblent boire, de tout leur corps, le chant et l’émotion des instruments.

La messe de l’amour ! — on dirait que la musique est cela pour la femme.

— Le courage et la gloire d’un civil est de penser trop tôt.

— L’infirmité du bonheur de l’homme est faite de son sentiment du passé et de l’avenir. Son présent souffre toujours un peu du souvenir ou de l’espérance.