et, en passant, on remarquera que, dès que je puis aborder pareil sujet, toutes mes misères sont oubliées. Il m’apprit qu’il n’y avait pas dans son université deux hommes qui entendissent le grec ; j’en fus étonné, et à l’instant parti pris d’aller à Louvain et d’y vivre en montrant le grec. Mon confrère l’étudiant m’y encouragea, et me laissa entrevoir que j’y pourrais faire fortune.
« Le lendemain j’étais bravement en route. Mon bagage, comme le panier de pain d’Ésope, allait chaque jour s’allégeant ; car, sur la route, il payait aux Hollandais mon logement, Arrivé à Louvain, au lieu de faire la courbette aux professeurs de bas étage, je crus devoir franchement offrir mes talents au recteur lui-même. Je me présentai, on me reçut ; je me proposai comme maître de langue grecque ; l’université, m’avait-on dit, en manquait. Le recteur parut d’abord douter de ma capacité ; je m’engageai à la lui prouver, en traduisant en latin tel passage d’un auteur grec qu’il lui plairait de m’indiquer. S’apercevant que ma proposition était sérieuse : « Vous me voyez, jeune homme, me dit-il, je n’ai, moi, jamais appris le grec, et je ne sache pas que j’en aie jamais eu besoin. J’ai obtenu le bonnet et la robe de docteur, sans grec ; j’ai, par an, dix mille florins, sans grec ; j’ai excellent appétit, sans grec ; en un mot, comme je ne sais pas le grec, je ne pense pas qu’il soit bon à rien. »
« J’étais trop loin de chez moi pour songer à y retourner ; je résolus d’aller en avant. J’avais quelques notions de musique et une voix passable. Ce qui avait été pour moi un amusement devint alors mon gagne-pain. Je cheminais au milieu des bons paysans de Flandre et de ceux de France qui sont assez pauvres pour être gais ; car, chez eux, la gaieté m’a toujours paru en raison des besoins. Quand, à la chute du jour, je me trouvais auprès d’une maison de paysan, je jouais un de mes airs les plus gais, et il me valait non-seulement le couvert, mais le vivre pour le lendemain. Une ou deux fois j’essayai de jouer