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qui, s’inclinant un peu, comme une fleur printanière, porta à son front une main blanche aux doigts diaphanes. Le sourire de Kovaliov s’épanouit davantage encore quand il aperçut sous le chapeau un petit menton rond, d’une blancheur éclatante, et une moitié de joue fraîche pareille à une rose de mai. Mais il recula aussitôt à la façon d’un homme qui se brûle : il venait de se souvenir qu’il n’avait pas de nez ! Il se retourna pour déclarer sans ambages au monsieur en uniforme qu’il usurpait le titre de conseiller d’État, puisqu’il n’était en réalité que son fripon de nez. Cependant le Nez avait eu déjà le temps de s’éclipser et poursuivait, sans doute, le cours de ses visites.

Ce nouveau contretemps plongea Kovaliov dans le désespoir. Revenu sur ses pas, il s’immobilisa un instant sous la colonnade, et promena ses regards de tous côtés, à la recherche de son nez. Il se rappelait fort bien que son coquin portait un chapeau à plumes et un uniforme brodé d’or ; toutefois, il n’avait remarqué ni la coupe du manteau, ni la couleur de la voiture, ni la robe des chevaux, ni même la livrée du valet de pied, si valet de pied il y avait. Les équipages se croisaient si nombreux et roulaient à si belle allure qu’il était difficile d’en distinguer un parmi les autres ; et d’ailleurs, comment l’arrêter ? Par cette belle journée ensoleillée, la Perspective était noire de monde : du pont de la Police au pont Anitchkov, le flot des dames s’écoulait le long du trottoir comme une cascade de fleurs. Kovaliov reconnut un conseiller aulique auquel il donnait volontiers du lieutenant-colonel, surtout en présence d’un tiers. Il aperçut