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quelle somme et satisfaire tout le monde depuis la vieille mendiante jusqu’au courtisan prodigue. De luxueux carrosses stationnaient souvent à sa porte et l’on distinguait parfois derrière leurs vitres la tête altière d’une grande dame. La renommée répandait le bruit que ses coffres étaient pleins à craquer d’argent, de pierres précieuses, de diamants, des gages les plus divers, sans qu’il montrât pourtant la rapacité habituelle aux gens de son espèce. Il déliait volontiers les cordons de sa bourse, fixait des échéances que l’emprunteur jugeait fort avantageuses, mais faisait, par d’étranges opérations arithmétiques, monter les intérêts à des sommes fabuleuses. C’est du moins ce que prétendait la rumeur publique. Cependant – trait encore plus surprenant et qui ne manquait point de confondre beaucoup de monde – une fatale destinée attendait ceux qui avaient recours à ses bons offices : tous terminaient tragiquement leur vie. Étaient-ce là de superstitieux radotages ou des bruits répandus à dessein ? On ne le sut jamais au juste. Mais certains faits, survenus à peu d’intervalle au su et au vu de tout le monde, ne laissaient guère de place au doute.

» Parmi l’aristocratie de l’époque, un jeune homme de grande famille eut tôt fait d’attirer sur lui l’attention. En dépit de son âge tendre, il se distinguait au service de l’État, se montrait ardent zélateur du vrai et du bien, s’enflammait pour tous les ouvrages de l’art et de l’esprit, et promettait de devenir un véritable mécène. L’impératrice elle-même le distingua, lui confia un poste important, tout à fait conforme à ses aspirations, et qui lui