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les garçons épiciers, rapportent chaque soir chez elles pour cinq kopeks de café et pour quatre de sucre ; enfin toute une catégorie d’individus qu’on peut qualifier de « cendreux », car leur costume, leur visage, leur chevelure, leurs yeux ont un aspect trouble et gris, comme ces journées incertaines, ni orageuses ni ensoleillées, où les contours des objets s’estompent dans la brume. À cette catégorie appartiennent les gagistes de théâtre à la retraite ; les conseillers titulaires dans le même cas ; les anciens disciples de Mars à l’œil crevé ou à la lèvre enflée. Ce sont là des êtres totalement apathiques, qui marchent sans jamais lever les yeux, ne soufflent jamais mot et ne pensent jamais à rien. Leur chambre n’est jamais encombrée ; parfois même elle ne recèle qu’un flacon d’eau-de-vie qu’ils sirotent tout doucement du matin au soir ; cette lente absorption leur épargne l’ivresse tapageuse que de trop brusques libations dominicales provoquent chez les apprentis allemands, ces étudiants de la rue Bourgeoise, rois incontestés du trottoir après minuit sonné.

» Quel quartier béni pour les piétons que ce Kolomna ! Il est bien rare qu’une voiture de maître s’y aventure ; seule la patache des comédiens trouble de son tintamarre le silence général. Quelques fiacres s’y traînent paresseusement, le plus souvent à vide ou chargés de foin à l’intention de la rosse barbue qui les tire. On peut y trouver un appartement pour cinq roubles par mois, y compris même le café du matin. Les veuves titulaires d’une pension constituent l’aristocratie du lieu : elles ont une conduite fort décente, balaient