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Français, marchands de pommade, fléaux des bourses russes et, qui pis est, les Françaises vendeuses de chapeaux, sangsues de nos provinces, ou plutôt nuées de sauterelles voraces, qui, comme l’a fort bien dit je ne sais plus quel homme d’esprit, dévorent toute récolte, et, pour surcroît, déposent dans la terre leurs œufs afin que la récolte de l’année suivante soit dévolue à leur race prolifique.

Il est vrai que, cette année-là, les gentillâtres furent peu nombreux ; les terres n’avaient presque rien donné. En revanche, les employés, officiers civils et judiciaires de tout tchine (rang), affluèrent, n’ayant pas à souffrir de la disette ; leurs femmes, hélas ! affluèrent ainsi qu’eux. S’étant, maris et femmes, bien infatués de la lecture des différents ouvrages de l’imagination occidentale, répandus à millions dans ces derniers temps avec le but plus ou moins avoué d’inoculer à la pauvre humanité du Nord et de l’Orient toutes sortes de nouveaux besoins, ces néophytes sentaient en eux une aspiration pressante d’obtempérer à toutes les réclames, de faire l’épreuve de toutes les promesses. Un Français avisé ouvrit un établissement d’un genre dont ces localités n’avaient jamais eu l’idée et d’un nom même décidément inouï : un Vauxhall ; là on était sûr de trouver un succulent souper à un prix fabuleusement minime, et la moitié à crédit.

Une telle amorce était certes bien suffisante pour que non-seulement les chefs de bureau, mais même les simples scribes, courussent se signaler là, avec l’espoir de puiser plus que jamais dans la poche du plaideur. Il se manifeste là une grande émulation de chevaux de race et de cochers de prix. C’est déjà une grosse affaire que ces classes et ces conditions si diverses se croisant, se coudoyant sous prétexte de plaisirs publics… Malgré le vent, la neige, la boue, la pluie, les plus élégantes calèches courent, se croisent en tous sens. Nous ne savons d’où elles nous sont ainsi arrivées en pleine province lointaine, ces calèches, mais à Pétersbourg même elles ne seraient pas vaincues en élégance… Les marchands et leurs com-