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sent humbles et obéissants serviteurs du premier venu à qui ils ont une occasion d’écrire, ne devraient pas se cabrer devant des mots qui ont sur ceux-là l’avantage de la justesse ; tout homme qui agit en ami nous fait par cela même du bien… il…

— Assez, Pâvel Ivanovitch ; je me rends, et vous avez carte blanche.

— Voilà qui est parler ! Eh bien ! allez, je vous prie, écrire lestement tout ce qu’il me faut pour le greffe du chef-lieu, pour votre vénérable parente, la tante de Khlobouëf, et pour votre ami du Lombard de Moscou, à qui j’adresserai mon délégué aussitôt après la signature de mon contrat d’acquisition. Moi, pendant que vous écrirez, je vais, avec votre permission, faire ma cour à madame, ou examiner votre propriété.

— Tout sera prêt dans moins de deux heures.

— Bien ; dans deux heures je pars.

— Non pas ; vous nous restez à dîner, ou vous n’êtes pas un ami.

— Je resterai, et nous serons les meilleurs amis du monde, comme vous le verrez par les faits. Mais ne perdons pas un temps précieux. »

Tchitchikof se fit rapporter son habit, qui avait séché au soleil et reçu un coup de fer ; il l’injecta d’eau de Cologne du haut en bas. La jeune dame, qui avait changé de toilette, vint le rejoindre au jardin. Après quelques tours d’allée, ils rentrèrent au salon, où elle lui fit un peu de musique. Comme il faisait pendant qu’elle jouait, pour marquer le plaisir qu’il prenait à son jeu, un petit fredonnement de complaisance, elle se figura qu’il avait de la voix et qu’il se mourait d’envie de chanter. Elle s’offrit à l’accompagner, il eut beau s’en excuser en alléguant que de sa vie il n’avait su qu’une pauvre chanson de douaniers, en quatre couplets, mêlée de mots russes, polonais et juifs ; elle s’obstina à entendre cette chanson, qu’elle trouva très-originale et qu’il fallut lui écrire. Quant à l’air, Mme Lénitsyne dut noter elle-même les sept ou huit premières mesures, qui devaient suffire pour lui rappeler tout le reste.