Page:Gogol - Les Âmes mortes, tome 2, trad Charrière, 1859.djvu/150

Cette page a été validée par deux contributeurs.


CHANT XIV.

LACUNE ET HYPOTHÈSE.


Ce chant manque en entier dans les manuscrits connus de l’auteur, quoiqu’on puisse inférer de quelques indications écrites au crayon en rapide sommaire que Gogol se proposait de raconter ici comme quoi Téntëtnikof le boudeur, à la pressante sollicitation du héros de cette odyssée steppienne, vient faire une grande visite de cérémonie au général Bétrichef ; comme quoi, dans l’une des visites qui s’ensuivirent, il s’enhardit à demander au général la main de Mlle Oulianka. Le général, suivant quelques notes, se réserve un mois de réflexion ; mais il ne tarde pas à se montrer tout à fait favorable à cette alliance. Bétrichef, ayant enfin donné de très-bonne grâce son consentement, envoie Tchitchikof annoncer de sa part cette résolution à quelques membres de sa famille, et entre autres au colonel Kochkarëf, personnage frappé d’une idée fixe persistante qui le fait passer pour fou.
  Nous procédons encore par induction dans la version que nous substituons ici pour remplir cette regrettable lacune. Ces légères variantes qu’on peut d’ailleurs comparer avec la version qui vient d’être indiquée, sont motivées toujours par les actions déjà connues des personnages, et ont pour but de mettre d’accord les détails qui précèdent avec ceux qui vont suivre.


En même temps que Bétrichef entrait par une porte latérale dans la salle à manger, par la grande porte vitrée de la galerie entrait aussi un gentilhomme aux traits réguliers, tondu très-ras, et d’un embonpoint si extraordinaire que l’attention de Tchitchikof se porta d’abord sur la solidité rassurante des chaises. C’était le magistrat de tout le gouvernement non pas le plus élevé en dignité, mais le plus actif et le plus influent. Le général, après les premières politesses, le conduisit à la vaste console sur laquelle était un plateau chargé de harengs, de caviar frais, d’anchois, de beurre de crème, de triple essence de cumin, de curaçao et de quatre autres liqueurs apéritives.

Le personnage fit sur ce plateau un épouvantable dégât. On renonça à la prégustation presque toute expédiée, et on se mit à table. Bétrichef échangea avec lui peu de paroles