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petit doigt, et qui semblait mise là comme par dérision dans une marmelade de prunes au vin rouge.

La justice arriva sur les lieux pour constater le délit, verbalisa, commença l’instruction ; les marchands convinrent de leurs torts en s’excusant avec insistance sur ce qu’ils ne s’étaient battus que pour s’amuser. Puis le bruit se répandit, sans trop de scandale dans le pays, qu’ils s’étaient tout doucement justifiés tous, moyennant quatre assignats de banque par tête. L’affaire fut ainsi dès l’abord jugée obscure, et, dans les suites peu prolongées de l’instruction, il fut démontré que ces imprudents fils d’Oustsyssolsko, ayant tous couché là, avaient tous été asphyxiés à la fois par la vapeur d’un poêle, que l’un d’eux était allé fermer lui-même un bon quart d’heure trop tôt. Il fut convenu qu’on n’avait enterré ces braves gens qu’après avoir bien constaté leur mort par asphyxie.

Voici quel fut le second cas de sépulture hâtive ; il était alors tout récent : des paysans de la couronne, domiciliés dans le village de Vchivaïa-Spess, réunis à d’autres paysans du village de Borovka-Zadiraïlova, extirpèrent de la surface du sol la police locale dans la personne de l’assesseur, un certain Drobajkine, parce que ladite police, c’est-à-dire Drobajkine, avait pris pour habitude de les visiter beaucoup trop souvent, ce qui revenait pour eux à une fièvre sporadique. On savait que, de la part de la police, le vrai motif était un grand faible de cœur qui la portait à venir regarder de fort près les femmes et les filles du village. On n’arriva pas à bien savoir la vérité ; seulement les paysans dans leurs dépositions dirent crûment que la police était paillarde comme un matou, que plus d’une fois ils l’avaient avertie d’être sur ses gardes, et que la dernière fois ils l’avaient chassée, en costume très-primitif, d’une chaumière où elle pouvait bien être prise pour un sauvage. Assurément, pour de pareilles habitudes, la police méritait bien de telles algarades ; mais toujours est-il que Drobajkine fut assommé à égale distance des deux villages dans les chemins, et que les habitants de Vchivaïa-Spess et ceux de Zadiraïlova sont coupables et sans excuse s’ils ont concerté