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— Oui, il est de Reazan ; il a avec lui deux bais superbes.

— C’est bon, c’est bon ; j’espère que je serai content de ton service, » dit machinalement Tchitchikof, et il entra dans sa chambre. Cependant en traversant l’antichambre, il porta la main à sa narine, et dit à Pétrouchka sans colère : « Tu aurais bien dû, au moins, prendre soin d’ouvrir les fenêtres pour donner de l’air à l’appartement. »

Pétrouchka répondit impudemment qu’il avait ouvert ; son maître sentait, et de reste, que le drôle mentait, mais il n’avait nulle disposition à gronder ; il rapportait de sa longue campagne, avec quelques trophées, une grande lassitude. Après s’être fait servir un quart de cochon de lait auquel il ne fit honneur que pendant dix minutes à peine, il se déshabilla, et, s’étant glissé sous sa couverture[1], il s’endormit de ce grand et bienfaisant sommeil que dorment seuls les êtres privilégiés, ceux qui ne savent ce que c’est que les incommodités physiques et les punaises dans l’ordre matériel, et les préoccupations creuses des trop puissantes intelligences dans l’ordre moral.

  1. En Russie on a une manière particulière de faire les lits ; on jette un drap sur le matelas et on le rive dessous, comme partout ; mais on coud à grands points l’autre drap sous la couverture. Au reste le Russe est l’homme du monde le moins difficile pour le coucher.