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l’expression de n’importe quel sujet, les mots et les tours qu’il emploie reflètent le caractère même qui est son cachet officiel et le trait distinctif de sa nature.

Chez l’Anglais, la parole se ressent de la vive et sagace compréhension des affaires du cœur et de la connaissance approfondie des choses de la vie ; chez le Français, la parole est l’instabilité même, elle brille d’un éclat qui plaît et attire, elle porte au loin le charme de ses grâces élégantes ; chez l’Allemand, la parole est un idiome quintessencié : tout mot y est savamment et industriellement couvé, procréé, alambiqué, rendu artistement ; il est maigre, sec et poussif ; c’est un docte malade qui se rend inaccessible même à la majorité des Allemands. Mais on chercherait en vain une langue qui fût plus nativement primesautière, vigoureuse et gaillarde, qui jaillît plus spontanément du cœur même, comme d’une source abondante, qui eût à sa discrétion toujours de ces mots qui montent, s’enroulent, s’échappent au moment donné, portent et frappent très-juste et très-fort, comme le fait le subtil mot russe d’après le nom qu’il a dans le pays de méetkoé rouskoé slovo.