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CHANT V.

SABAKÉVITCH.


Notre héros et Séliphane et le troïge fuient en toute hâte, tous également mécontents, par des motifs divers, de la redoutable hospitalité de Nozdref. — Rencontre d’un fougueux attelage de six chevaux, tirant une élégante calèche. — Choc terrible des neuf bêtes. — Plusieurs paysans accourent ; en une demi-heure de travail l’ordre est rétabli. — La calèche croise la britchka et Tchitchikof reprend sa route, entièrement distrait de ses récentes terreurs. — Il fait des réflexions du genre le plus positif sur la ravissante jeune demoiselle qu’emportait la calèche et qu’il avait contemplée avec extase. — La raison chez lui l’emporte toutefois de beaucoup sur la poésie de ces angéliques et fortuites apparitions. — Il s’aperçoit qu’il est sur les terres de Sabakévitch. — Il arrive à la maison du maître. — Il est reçu par Sabakévitch et présenté à madame, comparse qui trône en reine, et, le plus souvent, se tait en esclave. — Tchitchikof, pour entretenir inoffensivement la conversation, tente de louer ses illustres connaissances de la ville. — Autant sont nommées, autant sont mises en quartiers par l’homme dont la langue n’est pas moins terrible que les pieds. — On se met à table ; Sabakévitch, à propos des mets qu’il sert, fait un tableau très-fâcheux de la cuisine des autres. — Chez lui, il est vrai, tout est de première qualité et en surabondance. — Il vend à notre héros toutes ses âmes mortes de serfs mâles à deux francs soixante centimes, après en avoir demandé cent francs, puis cinquante, puis trente, et il propose les âmes mortes femelles, et, sur le refus de Tchitchikof, il dit : « C’est juste ; l’un aime le pope, l’autre aime la popesse. » — Les terres de Sabakévitch, le bourru accommodant, sont contiguës à celles d’un homme très-riche, nommé Pluchkine, chez qui Tchitchikof va se rendre, attiré par tout le mal qu’on dit du richard. — Éloge de l’idiome russe.


Notre héros, nous en convenons de bonne grâce, avait éprouvé une de ces terreurs blanches dont on ne revient pas vite, et, quoique son troïge allât à fond de train, quoique le village de Nozdref fût depuis longtemps hors de vue, caché là-bas derrière des plaines, des plis de terrain, des collines et des bocages, il regardait toujours avec frayeur, comme s’il s’attendait à être vivement poursuivi. Il respirait avec peine, et, ayant essayé de se rendre