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firent plus trêve à leurs poursuites. Elle pouvait distinguer les instruments et les voix qui revenaient, les mélodies qui se répétaient, et bientôt elle ne se refusa point la curiosité de savoir qui pouvaient être ces inconnus, et surtout les plus persévérants. Elle pouvait bien se permettre ces observations comme passe-temps.

Elle commença donc à regarder quelquefois dans la rue, à travers ses rideaux et ses persiennes, à observer les passants, et particulièrement à distinguer les cavaliers qui arrêtaient le plus longtemps les yeux sur ses fenêtres. C’étaient presque toujours de jeunes élégants, qui, il faut le dire, faisaient paraître dans leur maintien, comme dans leur extérieur, autant d’étourderie que de vanité. Ils voulaient plutôt, semblait-il, se faire remarquer, en observant avec attention le logis, que rendre une sorte d’hommage à la belle.

« En vérité, se disait quelquefois la dame en souriant, mon mari s’est avisé d’une heureuse idée ! Par la condition sous laquelle il me permet un amant’ il exclut tous ceux qui me témoignent de l’empressement et qui peut-être sauraient me plaire. Il n’ignore pas que la sagesse, la modestie et la discrétion sont les qualités d’un Age tranquille, des qualités que notre raison apprécie, mais qui n’excitent nullement notre imagination, et ne sauraient éveiller notre sympathie. Ceux qui assiégent ma maison de leurs gentillesses, je n’en ai rien à craindre, car ils n’inspirent aucune confiance, et ceux auxquels je pourrais donner ma confiance, je ne les trouve pas aimables du tout. »

Dans la sécurité que lui donnaient ces pensées, elle se permettait toujours plus de s’intéresser à la musique et à la figure des jeunes gens qui passaient devant chez elle, et, insensiblement, il se développa dans son cœur un inquiet désir qu’elle songea trop tard à combattre. La solitude et l’oisiveté, la vie heureuse, opulente et facile, étaient un élément dans lequel un désir déréglé devait s’éveiller plus tôt que l’aimable enfant ne pensait.

Alors elle se prit à admirer, avec de secrets soupirs, entre autres mérites de son époux, sa connaissance du monde et des hommes, et particulièrement du cœur des femmes.