Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/217

Cette page n’a pas encore été corrigée

ment, renoncer à décrire, et nous attacher au récit et aux réflexions, si nous voulons approfondir et nous représenter la situation des esprits, seul objet qui désormais nous intéresse.

Nous commencerons par dire que le major, depuis que nous l’avons perdu de vue, avait consacré tout son temps à l’affaire de famille que nous connaissons, mais que, si claire et si simple qu’elle fût, il rencontra dans maints détails des difficultés inattendues : car, en général, il n’est pas facile de démêler une situation depuis longtemps embrouillée, et de rouler en peloton des fils nombreux, entre-croisés. Comme il était donc appelé à changer souvent de séjour, afin de poursuivre l’affaire en divers lieux et chez différentes personnes, les lettres de sa sœur ne lui parvenaient que lentement et sans ordre. 11 apprit d’abord l’égarement de son fils et sa maladie ; puis il eut la nouvelle de son congé, qu’il ne comprenait pas. Que l’amour d’Hilarie fût sur le point de changer d’objet, c’est une chose qui lui resta cachée. Comment sa sœur eût-elle osé l’en instruire ? A la nouvelle de l’inondation, il hâta son voyage, mais il n’arriva qu’après la gelée vers les champs de glace ; il envoya, par un détour, ses gens et ses chevaux au château, se procura des patins, et, d’une course rapide, voyant déjà de loin les fenêtres illuminées, il arriva, par une nuit claire comme le jour, pour être témoin du plus fâcheux spectacle, et fut plongé aussitôt dans une cruelle perplexité.

Le passage de la vérité intérieure à la réalité sensible est toujours douloureux par le contraste. Quoi donc ? Aimer et demeurer n’auraient-ils pas les mêmes droits que se séparer et se fuir ? Et pourtant, quand l’un se sépare de l’autre, il se fait dans le cœur un vide affreux, où plus d’une existence s’est abîmée ; oui, l’illusion, aussi longtemps qu’elle dure, possède une invincible vérité, et les esprits mâles et courageux sont les seuls que la découverte d’une erreur élève et fortifie ; cette découverte les transporte au-dessus d’eux-mêmes ; à cette hauteur, ils regardent autour d’eux, et, l’ancienne voie leur étant fermée, ils en cherchent promptement une nouvelle, pour y marcher aussitôt avec ardeur et courage. Us sont innombrables, les embarras au milieu desquels l’homme se trouve engagé en de pareils moments ; innombrables, les moyens qu’une ingénieuse nature sait décou-