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rance ; il a besoin de la marchandise, il la veut et la désire, et il sait bien rarement la juger avec l’œil d’un connaisseur. L’un sait très-bien ce qu’il donne ; l’autre ne sait pas toujours ce qu’il reçoit ; mais telle est la vie, et l’on n’y peut rien changer : c’est même une chose aussi bonne que nécessaire, car elle est la base de toute demande et de toute recherche, de tout achat et de tout échange.

Par suite de ces impressions, plus senties que méditées, la ba ronne ne pouvait être complétement satisfaite ni de la passion du fils ni de la peinture favorable du père ; elle se trouvait étonnée de l’heureux tour que cette affaire avait pris, mais, en considérant cette double inégalité d’âge, elle ne pouvait se défendre de fâcheux pressentiments. Hilarie était trop jeune pour le père ; la veuve n’était pas assez jeune pour le tils ; cependant la chose avait pris son cours, et il semblait impossible de l’arrêter. Un pieux désir que toute l’affaire eût une heureuse issue s’exhala de son cœur avec un léger soupir. Pour se soulager, elle prit la plume, elle écrivit à une amie1 qui connaissait le monde. Après lui avoir fait le récit des évériements, elle poursuivait en ces termes :

« Le manége de cette jeune et séduisante veuve ne m’est pas nouveau : elle paraît éviter la société des femmes et ne souffre auprès d’elle que celle qui ne peut lui faire aucun tort, qui la flatte, et qui, par une conduite et des paroles adroites, sait recommander à l’attention les avantages de sa jeune amie, si leur muet langage ne les fait pas briller suffisamment. Une pareille comédie ne veut pour spectateurs et pour acteurs que des hommes : de là le besoin de les attirer, de les fixer. Je n’ai pas mauvaise opinion de cette belle femme ; elle semble assez convenable et réservée, mais une vanité si vive sacrifie aisément quelque chose aux circonstances, et, ce que je regarde comme le plus fâcheux, tout n’est pas chez elle réfléchi et médité ; une soi te d’heureux naturel la dirige et la protége ; et rien n’est plus dangereux chez une femme, née coquette, qu’une témérité inspirée par l’innocence. »


1. On pourrait croire qu’il s’agit de Macarie, si ce qu’on lit plus bas, page 200, ne’semblait y contredira.