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sent rapidement, et se reposent encore au-dessus. Ils s’arrêtent quelquefois aussi dans les places unies, que l’on rencontre çà et là, jusqu’à ce qu’ils soient poussés en avant par le muletier ou par les mulets qui suivent. De là il arrive qu’en cheminant d’un pas égal, on passe avec peine à côté d’eux sur l’étroit chemin et l’on gagne les devants sur des files entières. Si l’on s’arrête pour observer quelque chose, ils dépassent à leur tour le voyageur, et l’on est importuné par le tintement assourdissant de leurs clochettes et par le fardeau étalé sur leurs flancs. C’est ainsi que nous atteignîmes enfin le sommet de la montagne, qu’il faut vous représenter comme une tête chauve, ceinte d’une couronne. On se trouve dans une plaine que des sommets environnent encore ; auprès et au loin, la vue est bornée par des rochers nus et par d’autres rochers, en plus grand ’nombre, couverts de neige.

On a beaucoup de peine à se chauffer, d’autant plus qu’on ne brûle que des branchages ; encore doit-on les ménager, parce qu’il faut les monter péniblement de trois lieues à peu près et qu’au-dessus, comme nous l’avons dit, il ae croît presque point de bois. Le père est remonté d’Airolo, tellement saisi par le froid, qu’en arrivant il ne pouvait articuler une parole. Bien qu’ils aient ici la permission de se traiter plus commodément que les autres membres de l’ordre, néanmoins leur vêtement n’est pas fait pour ce climat. Il était monté d’Airolo par une route très-glissante, ayant le vent contraire. Sa barbe était gelée, et il se passa du temps avant qu’il pût se remettre. La conversation roula sur l’incommodité de ce séjour. Le père nous conta comment ils passaient l’année ; il nous dit leurs fatigues et leur ménage. Il ne parlait que l’italien, et nous trouvâmes l’occasion de mettre en pratique ce que nos exercices nous en avaient appris au printemps. Vers le soir, nous sortîmes un moment devant la porte, afin de nous faire montrer par le père le sommet qui passe pour le plus élevé du Saint-Gothard ; mais à peine nous fut-il possible d’y tenir quelques minutes, tant le froid saisit et pénètre. Aussi, pour cette fois, restons-nous enfermés dans la maison, d’où nous partirons demain, et nous avons du temps en suffisance pour promener nos pensées sur les merveilles du pays.