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aux narrations, et ils se mirent à conter l’un après l’autre des histoires de courses pénibles ou malheureuses dans les montagnes : en quoi ces gens se trouvent comme dans leur élément, de sorte qu’ils racontent avec la plus grande tranquillité des catastrophes auxquelles ils sont exposés eux-mêmes tous les jours. L’un d’eux nous rapporta comme quoi, se trouvant sur le Kandersteg, pour passer la Gemmi avec un camarade (que l’on désigne toujours par le prénom et le surnom), ils avaient trouvé dans la neige profonde une pauvre famille, la mère mourante, l’enfant demi-mort et le père dans un état d’indifférence qui ressemblait à la folie. Il avait pris la femme sur ses épaules, son camarade, le petit garçon, et ils avaient poussé devant eux le père, qui ne voulait pas bouger de la place. A la descente de la Gemmi, la femme lui était morte sur le dos, et il l’avait néanmoins portée jusqu’aux bains de Louëche. Comme nous demandâmes quelles gens c’étaient, et comment ils avaient pu se trouver dans cette saison sur les montagnes, le guide répondit que c’étaient de pauvres gens du canton de Berne, qui, poussés par l’indigence, s’étaient mis en chemin dans cette mauvaise saison pour joindre des parents dans le Valais ou les provinces italiennes, et que l’orage avait surpris. Les guides contèrent ensuite des aventures qui leur étaient arrivées en traversant la Furca pendant l’hiver, avec leurs peaux de chèvres, expéditions qu’ils faisaient d’ailleurs toujours en troupe. Cependant le père nous faisait beaucoup d’excuses sur le souper qu’il nous offrait : nous lui assurâmes de nouveau que nous n’en souhaitions pas davantage, et, comme il dirigea la conversation sur lui-même et sur sa position, nous apprîmes qu’il ne desservait pas ce poste depuis longtemps. Il se mit à parler de la prédication et du talent que devait posséder un prédicateur. Il le comparait à un marchand qui doit prôner sa marchandise et la rendre agréable aux gens par des paroles engageantes. Il poursuivit l’entretien après souper, et, lorsque, s’étant levé, la main gauche appuyée sur la table, accompagnant de la droite ses paroles, il parla lui-même éloquemment de l’éloquence, il nous parut dans ce moment vouloir nous persuader qu’il était lui-même ce marchand bien avisé. Nous l’applaudîmes et il passa de l’exposition à la chose même. Il fit l’éloge de la reli-