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sent et entraînés si loin, ne nous abandonnera pas au moment où elle nous est le plus nécessaire.

Brieg, 10 novembre 1779, au soir.

Jai peu de chose à vous conter sur notre course d’aujourd’hui, à moins que vous ne consentiez à vous amuser d’une longue histoire de pluie et de beau temps. Nous sommes partis vers .onze heures de Louëche en compagnie d’un garçon boucher souabe, qui, s’étant égaré dans ce pays, avait trouvé de l’occupation à Louëche et y faisait un peu le paillasse ; notre bagage était sur un mulet, que son maître poussait devant lui. Derrière nous, aussi loin que notre vue pouvait s’étendre dans la vallée du Rhône, le ciel était couvert d’épais nuages de neige, qui venaient à nous en remontant le pays. C’était vraiment un coup d’œil sombre, et, quoique le soleil fût aussi clair devant nous que dans le pays de Gosen, j’avais une crainte secrète de voir les nuages nous atteindre bientôt, et nous peut-être, dans le fond du Valais, enfermés entre deux chaînes de montagnes, couverts de nuages et, en une seule nuit, ensevelis dans les neiges. Ainsi murmurait le souci, qui le plus souvent s’empare d’une oreille. D’un autre côté, le bon courage parlait d’une voix beaucoup plus rassurante ; il me reprochait mon incrédulité, me représentait le passé, et fixait aussi mon attention sur l’état présent de l’atmosphère. Nous ne cessions de marcher à la rencontre du beau temps ; dans le cours supérieur du fleuve, on voyait tout le ciel serein, et le vent d’ouest avait beau pousser derrière nous les nuages, ils ne pouvaient nous atteindre. En voici la raison : à la vallée du Rhône aboutissent, comme je l’ai déjà dit souvent, de nombreuses gorges des chaînes voisines ; elles y débouchent, comme des ruisseaux se versent dans le courant principal, et en effet toutes leurs eaux se jettent dans le Rhône. De chaque gorge descend un courant d’air, qui prend naissance dans les vallées et les sinuosités intérieures : lors donc que la masse principale des nuages, remontant la vallée, arrive à une de ces gorges, le courant d’air ne laisse point passer les nues, mais il lutte contre elles et contre le vent qui les porte ; il les arrête, et leur dispute souvent Te passage durant des heures. Nous avons été plusieurs fois témoins de ce combat ; et, quand