Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/59

Cette page n’a pas encore été corrigée

nomène : les brouillards, qui cheminent et qui se déchirent çà et là, laissent voir, comme par des soupiraux, le ciel bleu et en même temps les sommets des montagnes, qui,là-haut, par-dessus notre voile de vapeurs, sont éclairées par le soleil matinal" Sans parler de l’espérance d’une belle journée, un tel spectacle est pour les yeux une véritable fête. Nous avons enfin quelque terme de comparaison pour juger de la hauteur des montagnes. D’abord, du fond de la vallée, les brouillards s’élèvent assez haut sur les pentes ; de là, des nuages supérieurs montent encore, et l’on voit, par-dessus, reluire dans le ciel radieux les sommets des montagnes. Voici le moment ! Je prends congé à la fois de cette chère vallée et de vous.

Martigny en Valais, 6 novembre 1779, au soir.

Nous sommes arrivés ici heureusement. Encore une aventure menée à bonne fin. La joie de notre bon succès tiendra ma plume éveillée encore une demi-heure.

Après avoir chargé un mulet de notre bagage, nous sommes partis ce matin, vers neuf heures, du Prieuré. Les nuages, en mouvement, tantôt laissaient paraître et tantôt cachaient les crêtes des montagnes ; parfois le soleil pouvait pénétrer obliquement dans- la vallée, parfois la contrée était replengée dans l’ombre. Nous montâmes en côtoyant l’écoulement de la Vallée de glace et, plus loin, le glacier d’Argentière, le plus élevé de tous, mais dont le plus haut sommet nous était caché par les nuages. Nous tînmes conseil sur les lieux, pour savoir si nous prendrions par le col de Balme et si nous laisserions le chemin de Valorsine. L’apparence n’était pas très-favorable : mais, comme nous n’avions rien à perdre et que nous avions beaucoup à gagner, nous prîmes hardinrtint notre chemin vers la sombre région des brouillards et des nuages. Quand nous arrivâmes vers le glacier du Tour, les nuages se déchirèrent, et nous vîmes encore ce beau glacier en pleine lumière. Nous fîmes une halte ; nous bûmes une bouteille de vin, et nous prîmes quelque nourriture. Nous poursuivîmes ensuite notre marche vers les sources de l’Arve, sur de sauvages pelouses et’ de misérables gazons, et nous approchâmes toujours plus de la zone des nuages, qui finit par nous envelopper tout à fait. Nous