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duc d’Albanie parcourait chaque jour le même chemin, à la grande gène de toute la foule, et, dans ce temps de mascarade universelle, il rappelait à l’antique souveraine des rois la farce carnavalesque de ses royales prétentions.

Les ambassadeurs, qui ont le même droit, s’en servent modérément et avec une discrétion tout humaine.

Mais ces cortèges ne sont pas seuls à interrompre et à gêner la circulation du Corso : au palais Ruspoli et dans le voisinage, où la rue n’est pas plus large, les trottoirs sont plus élevés. C’est là que le beau monde prend place, et tous les sièges sont bientôt occupés ou retenus. Les plus belles dames de la classe moyenne, déguisées avec un goût ravissant, entourées de leurs amis, se montrent là aux regards avides des passants. Quiconque survient s’arrête pour contempler cette charmante assemblée ; chacun est curieux de démêler parmi toutes les figures d’hommes qui semblent siéger là les figures de femmes, et de découvrir peut-être dans un joli officier l’objet de son ardeur. C’est à cette place que le mouvement commence à s’arrêter, parce que les voitures s’attardent aussi longtemps que possible dans ce lieu, et, s’il faut faire halte, on préfère que ce soit dans cette agréable société.

Si jusqu’à présent notre description n’a dbnné l’idée que d’une situation gênée et presque douloureuse, elle produira une impression bien plus singulière, quand nous aurons raconté comment cette joyeuse cohue est mise en mouvement par une sorte de petite guerre, le plus souvent badine, mais qui n’est parfois que trop sérieuse.

Il est probable qu’un jour une belle s’avisa de jeterdes dragées à son amant, qui passait, pour s’en faire remarquer parmi la foule et sous le masque, car il est tout naturel que celui qui est atteint se retourne et découvre la malicieuse amie : c’est maintenant un usage général, et l’on voit souvent après une décès attaques deux visages se sourire. Mais on est trop économe pour prodiguer de véritables sucreries, ou bien l’abus qu’on en fait a rendu nécessaires des provisions plus grandes et moins chères. C’est maintenant une industrie particulière de porter dans de grandes corbeilles et d’offrir en vente parmi la foule des pastilles de plâtre, fabriquées à l’entonnoir, qui ont l’apparence de dragées.