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étions si haut que les collines et les vallons du premier plan ne paraissaient point, Les villages, les petites villes, les maisons de campagne, les vignobles, et, plus haut,à la naissance des bois et des Alpes, les chalets, la plupart blancs et clairs, reluisaient au soleil. Le brouillard avait déjà laissé à découvert le Léman ; nous voyions parfaitement la partie la plus proche de la rive citérieure ; nous embrassions tout l’ensemble de ce qu’on appelle le Petit-Lac, depuis l’endroit où le grand se resserre jusqu’à Genève, qui était devant nous, et, vis-à-vis, s’éclairait le pays qui l’environne. Mais la vue des glaciers et des montagnes blanches appelait toujours l’attention avant tout le reste. Nous cherchâmes derrière des rochers un abri contre la fraîcheur de l’air ; nous nous exposâmes aux rayons du soleil, tout . en mangeant et en buvant avec délices. Nous observions le brouillard, qui se dissipait insensiblement ; chacun découvrait ou croyait découvrir quelque chose. Peu à peu nous vîmes trèsdistinctement Lausanne, avec toutes les maisons de plaisance qui l’environnent ’, Vevey et le château de Chilien, les montagnes qui nous cachaient, jusqu’au lac, l’entrée du Valais ; de là, sur la côte de Savoie, Evian, Ripaille, Thonon, de petits villages et de petites maisons dans les intervalles ; à droite, Genève sortit enfln du brouillard, mais, plus loin au sud, vers le Crédoz et le Vouache1, entre lesquels se trouve le fort de l’Écluse, le brouillard ne se leva point. Nous regardâmes de nouveau vers la gauche, et nous vîmes tout le pays, de Lausanne à Soleure, dans une légère vapeur ; les montagnes et les hauteurs plus voisines et les lieux où se trouvaient des maisons blanches, nous pouvions tout distinguer. On nous montra la masse brillante du château de Champvent, situé sur la rive


1. Qui vous aurait dit alors, illustre Goethe, que, quatre-vingts ans plus tarJ, dans une de ces maisons champêtres, un habitant du pays traduirait vos immortels ouvrages et passerait avec vous plusieurs années de vie studieuse et solitaire ! Et lui-même ne s’attendait pas à remplir un jour ce ministère dans la république des lettres, lorsqu’à l’âge de dix-neuf ans, quarante ans après vous, et quarante ans avant le moment où il écrit ces lignes, il contemplait sur la Dole le même spectacle avec le même enchantement.

Florency, 20 juin 1859.

2. Le Crédoz, une des dernières et des plus hautes sommités du Jura. Le Vouache, qui commence la chaîne des Alpes, touche à la rive gauche du Rhône, en face du fort de l’Écluse.