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dialectique sur la barque flottante. Mais une fois ne leur suffit pas : ils étaient en train, et ils demandèrent au passeur plus d’une répétition. Il y consentit volontiers, chaque passage lui valant un baïoque par personne, profit considérable qu’il n’attendait plus à une heure si tardive. Il satisfit leur désir en silence, et son jeune fils lui ayant demandé avec étonnement ce que ces gens se voulaient : « Je ne sais pas, répondit-il fort tranquillement, mais ils sont fous. »

Vers ce temps je reçus de chez nous, dans un paquet la lettre suivante* :

« Monsieur, je ne suis pas étonné que vous ayez de mauvais lecteurs : tant de gens aiment mieux parler que sentir ! mais il faut les plaindre et se féliciter de ne pas leur ressembler.

« Oui, Monsieur, je vous dois la meilleure action de ma vie, par conséquent la racine de plusieurs autres, et, pour moi, votre livre est bon. Si j’avais le bonheur d’habiter le même pays que vous, j’irais vous embrasser et vous dire mon secret, mais malheureusement j’en habite un où personne ne croirait au motif qui vient de me déterminer à cette démarche. Soyez satisfait, Monsieur, d’avoir pu, à trois cents lieues de votre demeure, ramener le cœur d’un jeune homme à l’honnêteté et à la vertu. Toute une famille va être tranquille, et mon cœur jouit d’une bonne action. Si j’avais des talents, des lumières ou un rang qui me fit influer sur le sort des hommes, je vous dirais mon nom, mais je ne suis rien et je sais ce que je ne voudrais être. Je souhaite, Monsieur, que vous soyez jeune, que vous ayez le goût d’écrire, que vous soyez l’époux d’une Charlotte qui n’avait point vu de Werther, et vous serez le plus heureux des hommes, car je crois que vous aimez la vertu. »

Rome, 15 décembre 1787.

Je t’écris tard et seulement pour écrire quelque chose. J’ai passé très-heureusement cette semaine. La semaine précédente, rien ne voulait aller, ni un travail ni un autre ; voyant donc un si beau temps le lundi, et la connaissance que j’ai du ciel me


1. Cette lettre est en français dans l’originaL