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l’on jouissait d’une vue magniGque ; je promenai mon regard à la ronde, mais autre chose que le paysage pittoresque passait devant mes yeux. Il s’était répandu sur la contrée une teinte qui ne pouvait s’attribuer ni au coucher du soleil ni aux brises du soir. La splendeur des étoiles, les ombres fraîches, azurées, des profondeurs paraissaient plus admirables que jamais l’huile ou l’aquarelle ne les représentèrent ; je ne pouvais assez contempler ; cependant, je sentis que j’avais envie de quitter la place pour saluer dans un petit cercle d’amis le dernier adieu du soleil.

Mais je n’avais pu refuser l’invitation des mères et des voisines de m’asseoir auprès d’elles, d’aulant qu’elles m’avaient fait place à la fenêtre d’où l’on avait la plus belle vue. Quand je prêtai l’oreille à leurs discours, je pus entendre qu’il s’agissait d’un trousseau, sujet qui revenait sans cesse et qu’on ne pouvait épuiser. On passait en revue les objets nécessaires de tout genre. Le nombre et la nature des divers cadeaux, les dons principaux de la famille, les diverses offrandes des amis et des amies, dont une partie était encore un secret, enfin toute une minutieuse énumération, pendant laquelle s’écoulaient les belles heures, je dus tout écouter patiemment, parce que les dames m’avaient retenu pour une promenade du soir.

On finit par s’entretenir des mérites du fiancé ; on le peignit d’une manière assez favorable, mais sans vouloir dissimuler ses défauts, tout en exprimant la ferme espérance que la grâce, la sagesse, l’amabilité de sa fiancée, suffiraient à les diminuer et les corriger. A la fin, dans mon impatience, au moment où le soleil se plongeait dans la mer lointaine, et jetait un regard inexprimable à travers les ombres allongées et les échappées de lumière, obscurcies mais puissantes encore, je demandai, avec toute la discrétion possible, quelle était donc cette fiancée. On me répondit avec étonnement : « Ignorez-vous ce que tout le monde sait ? » Alors seulement on vint à réfléchir que je n’étais pas un commensal mais un étranger. Il n’est pas nécessaire que j’exprime l’horreur dont je fus saisi, quand j’appris que c’était justement l’écolière qui venait de m’inspirer un intérêt si tendre. Le soleil se coucha, et je sus trouver une excuse pour me dérober à la société, qui, sans le savoir, m’avait instruit si cruellement.