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nière assez pénétrante, comme il arrive à un cœur oisif, qui, dans une situation agréable et paisible, n’appréhende rien, ne souhaite rien, et se trouve tout à coup en présence du trésor le plus digne d’envie. Dans un pareil moment, nous n’apercevons pas le danger .qui nous menace sous ces traits séduisants.

Le lendemain, nous nous trouvâmes seuls nous trois, et la balance pencha toujours plus du côté de la Milanaise. Elle avait sur son amie ce grand avantage, qu’on remarquait dans ses discours une certaine ardeur inquiète. Elle se plaignait qu’on l’eût élevée non pas avec trop peu de soin, mais avec trop de défiance. « On ne nous apprend pas à écrire, disait-elle, de peur que nous n’employions notre plume à écrire des lettres d’amour ; on ne nous laisserait pas lire, si nous ne devions pas nous servir de livres de prières ; quant à nous apprendre les langues étrangères, personne n’y songera jamais. Je donneraistout pour savoir l’anglais. J’entends souvent, avec un sentiment qui ressemble à l’envie, M. Jenkins et mon frère, Mme Angélique, M. Zucchi, MM. Volpato et Cammocini, s’entretenir en anglais ; et les journaux, longs d’une aune, sont là devant moi sur la table ; il s’y trouve des nouvelles de toute la terre, à ce que je vois, et je ne sais ce qu’elles disent.— Cela est d’autant plus fâcheux, lui répondis-je, que l’anglais est facile à apprendre. Vous parviendriez en peu de temps à le saisir et à le comprendre. Faisons sur-le-champ une tentative, poursuivis-je, en prenant une de ces immenses feuilles anglaises, qui se trouvaient en grand nombre autour de nous. »

Je la parcourus et j’y trouvai un article qui rapportait l’accident d’une demoiselle tombée dans l’eau, mais qu’on avait heureusement sauvée et rendue à sa famille. 11 y avait dans l’événement des circonstances qui le rendaient complexe et intéressant. Il restait douteux si la jeune fille s’était précipitée dans l’eau pour chercher la mort, et lequel de ses adorateurs, le favorisé ou le dédaigné, s’était exposé pour la sauver, Je montrai l’endroit à la belle Milanaise et je la priai d’y arrêter ses regards attentivement. Je commençai par lui traduire tous les substantifs, et je l’interrogeai pour m’assurer qu’elle en avait bien retenu la signification. Elle observa bien-