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raconter comme tout m’a encore réussi dans ce mois, comme on a mis à ma portée tout ce que j’avais désiré. Je suis bien logé et chez de bonnes gens. Tisclibein se rend à Naples, et j’occupe son atelier, grande salle fraîche. Si vous pensez à moi, représentez-vous un homme heureux. J’écrirai souvent, et, comme cela, nous serons, nous resterons ensemble.

Il me vient assez de pensées et d’inspirations nouvelles. Je Retrouve ma première jeunesse jusque dans les bagatelles, livré à moi-même comme je le suis, et puis la grandeur et la dignité des objets me portent aussi haut et aussi loin que ma dernière manière d’être peut atteindre.

Mon œil se forme étonnamment, et ma main ne restera pas tout à fait en arrière. Il n’y a qu’une Rome dans le monde, et je me trouve ici comme le poisson dans l’eau ; je surnage, comme on voit surnager dans le mercure un boulet, qui enfonce dans tout autre liquide. Rien ne trouble le cours de mes pensées, sauf que je ne puis partager mon bonheur avec mes amis. Le ciel est maintenant d’une admirable sérénité, et nous n’avons à Rome un peu de brouillard que le matin et le soir ; mais, sur les hauteurs, Albano, Castello, Frascati, où j’ai passé trois jours la semaine dernière, l’air est toujours pur et serein. C’est là une nature à étudier !

Rome, 5 juillet 1787.

Ma vie actuelle ressemble tout à fait à un songe de jeunesse : nous verrons si ma destinée sera d’en jouir, ou s’il me faudra reconnaître que ceci, comme tant d’aulres choses, n’est que vanité. Tischbein est parti ; son atelier est déblayé, épousseté, lavé, et je m’y trouve fort bien. Il est bien nécessaire dans cette saison d’avoir un asile agréable : la chaleur est violente. Je suis debout au lever du soleil, et je vais à Acqua acctosa, source minérale à une demi-lieue de la porte voisine ; je bois de cette eau, qu’on pourrait dire un Schwalbach affaibli, mais qui, dans ce climat, est déjà fort agissante. Je suis de retour chez moi vers huit heures, et je travaille assidûment, autant que le permettent les dispositions où je me trouve. Je me porte fort bien. La chaleur dissipe toute humeur rhumatismale et pousse à la peau toutes les âcretés : or il vaut mieux qu’un mal démange que de ronger et traîner.