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de limites. Le crépuscule avait commencé et nous étions encore sans lumières. Nous nous promenions dans la chambre ; la duchesse, s’approchant d’une embrasure fermée par des volets, en ouvrit un, et je vis ce qu’on ne voit qu’une fois dans sa vie. Si elle le fit à dessein de me surprendre, elle atteignit parfaitement son but. Nous étions à une fenêtre de l’étage supérieur, le Vésuve en face de nous : la lave coulante, dont on voyait déjà la flamme rougir (le soleil était couché depuis longtemps), cette flamme commençant à dorer la fumée qui l’accompagnait, la montagne tonnante, surmontée d’une vapeur épaisse, immobile, les différentes masses de cette vapeur séparées comme par des éclairs, illuminées en relief, à chaque nouvelle éruption ; de là jusqu’à la mer une traînée de flammes et de vapeurs enflammées ; du reste la mer et la terre, les rochers et les campagnes, visibles à la lueur du soir, dans une paisible clarté, dans un magique repos : tout cela, vu d’un coup d’œil en même temps que la lune se levait derrière les croupes de montagnes, pour compléter ce merveilleux tableau ! quelle scèneI quel digne sujet d’étonnement !

L’œil embrassait tout d’un regard, et, s’il ne pouvait passer en revue chaque détail, du moins il ne perdait jamais l’impression de ce grand ensemble. Si notre conversation avait été interrompue par ce spectacle, elle n’en devint ensuite que plus intime. Nous avions devant nous un texte que des milliers d’années ne suffiront pas à commenter. Plus la nuit s’avançait, plus la contrée semblait s’illuminer. La nuit brillait comme un autre soleil ; les colonnes de fumée, avec leurs traînées et leurs masses lumineuses, étaient distinctes jusque dans leurs détails ; on croyait même, avec une lunette peu forte, distinguer sur le fond noir de la montagne conique les roches brûlantes vomies par le cratère. Mon hôtesse (je me plais à lui donner ce titre, car il eût été difficile de me servir un plus excellent souper) lit porter les bougies à l’autre bout de la chambre, et cette belle femme, éclairée par la lune et servant de premier plan à ce merveilleux tableau, me semblait toujours plus belle ; je lui trouvais même d’autant plus de charme, que j’aimais à entendre dans ce paradis méridional un dialecte allemand des plus agréables. J’oubliai qu’il se faisait tard, si bien qu’elle dut enfin m’en