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dans ces contrées à ses besoins les plus pressants et les plus nécessaires et même jouir du monde admirablement. Et, pareillement, un prétendu mendiant napolitain pourrait bien dédaigner la place de vice-roi de Norvège, et refuser l’honneur que la czarine de Russie lui ferait de le nommer gouverneur de Sibérie.

Certes, dans nos climats, un philosophe cynique mènerait une vie fort dure, tandis que, dans les pays du Sud, la nature semble le convier. Ici, un homme déguenillé n’est pas un homme nu ; celui qui n’a pas de maison à lui ni d’habitation louée, mais qui, en été, passe la nuit sous les avant-toits, sur le seuil des palais et des églises, dans les bâtiments publics, et, en cas de mauvais temps, se gîte quelque part pour un chétif salaire, n’est pas pour cela rejeté et misérable ; un homme n’est pas pauvre parce qu’il n’a pas songé au lendemain. Si l’on considère quelle masse d’aliments offre la mer poissonneuse, des produits de laquelle ces gens doivent, selon la règle, se nourrir un certain nombre de jours par semaine ; avec quelle abondance on peut se procurer, en chaque saison, toute espèce de fruits et de plantes potagères ; que la contrée où Naples se trouve a mérité son nom de Terra di Lavore (ce qui ne veut pas dire Terre de labeur, mais Terre de labour) ; qu’enfin toute la province porte depuis des siècles le nom honorable de Campa fina felice, on comprendra bientôt comment il peut être facile d’y vivre.

En somme, le paradoxe que j’ai hasardé donnerait lieu à maintes réflexions, si quelqu’un voulait entreprendre un tableau détaillé de Naples, ce qui exigerait assurément un talent peu commun et bien des années d’observation. Alors peut-être on remarquerait que le lazzarone n’est pas à tout prendre plus inactif que l’homme des autres classes, et l’on reconnaîtrait aussi que chacun, dans son genre, ne travaille pas pour vivre seulement, mais pour jouir ; et que, même dans le travail de la vie, chacun veut s’égayer. Voilà comment il se fait que les artisans sont généralement inférieurs a ceux du Nord ; que les fabriques n’y existent pas ; que, sauf chez les avocats et les médecins, eu égard à la masse delà population, on trouve peu de science, si considérables que soient les travaux particuliers des hommes de mérite ; qu’aucun peintre de l’école napolitaine n’a