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suyé un refus ; mais mon voyage de Sicile a exercé sur moi, jo le sens bien, une heureuse influence, et j’ai promis de venir. Par malheur, la ville est grande et les sujets de distraction sont nombreux, en sorte que je montais l’escalier un quart d’heure trop tard ; j’étais sur la natte de jonc, devant la porte fermée, et j’allais sonner quand la porte s’est ouverte, et j’ai vu sortir un bel homme de moyen âge, que j’ai reconnu sur-lechamp pour mon Anglais. Il m’eut à peine envisagé qu’il me dit : « Vous êtes l’auteur de Werther ! » Je dis qu’il devinait juste, et je m’excusai de n’être pas arrivé plus tôt. « Je ne pouvais attendre un moment de plus, reprit-il, mais ce que j’ai à vous dire est fort court et peut se dire tout aussi bien sur la natte de jonc. Je ne veux pas répéter ce que mille personnes vous ont fait entendre ; j’ajouterai que l’ouvrage n’a pas agi sur moi aussi violemment que sur d’autres ; mais chaque fois que je pense à ce qu’il fallait de talent pour l’écrire, je me sens saisi d’une nouvelle admiration. »

Je voulais articuler quelques mots de remerctments, lorsqu’il me coupa la parole et s’écria : « Je ne puis tarder un moment. Mon désir est comblé, d’avoir pu vous dire cela à vousmême. Adieu, vivez heureux ! » Et là-dessus il dégringola l’escalier. Je réfléchis un moment sur ce texte honorable, et enQn je sonnai. La dame apprit avec plaisir notre rencontre, et me rapporta plusieurs choses à l’avantage de cet homme singulier.

Naples, 25 mai 1787.

Je ne reverrai pas, je crois, ma folle petite princesse. Elle s’est rendue en effet à Sorrente, et, avant son départ, elle m’a honoré de ses injures, parce que j’avais pu lui préférer l’aride et déserte Sicile. Quelques amis m’ont expliqué ce singulier phénomène. Sortie d’une famille noble mais pauvre, élevée au couvent, elle s’était résolue à épouser un prince vieux et riche, et on l’avait décidée facilement, parce que la nature l’avait faite d’un bon caractère, mais absolument incapable d’amour. Dans cette situation opulente, se voyant fort gênée par les relations de famille, elle cherchait dans son esprit une ressource, et, se trouvant contrainte dans ses actions, elle donnait du moins libre cours à sa langue. On m’a assuré que sa conduite