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enchaîné ! je la sais par cœur ; son élévation, sa profondeur, ses lumières et ses ombres, ses teintes, ses demi-teintes et ses reflets, tout se peint dans mon esprit aussi souvent que je veux ; à l’aide d’une heureuse imitation, tout se représente à moi avec la même vivacité, et le chef-d’œuvre de la nature, le corps humain, son ensemble, l’harmonie de ses membres, je n’en ai qu’une idée générale, qui n’est proprement pas une idée. Mon imagination ne m’offre point vivement cette admirable structure, et, quand l’artiste me la présente, je ne suis pas en état de rien sentir ni de juger la figure. Non, je ne veux pas rester plus longtemps dans cette confusion ; je veux imprimer dans mon esprit la forme humaine, comme la forme des pêches et des raisins. »

J’engageai Ferdinand à se baigner dans le lac. Que mon jeune ami est admirablement bien fait ! Quelle juste proportion dans tous ses membres ! Quelle richesse de formes ! Quel éclat de jeunesse ! Et pour moi quel avantage, d’avoir enrichi mon imagination de ce parfait modèle de la nature humaine ! — Maintenant je peuple les bois, les prairies et les montagnes de figures aussi belles ; je le vois, comme un Adonis, poursuivre le sanglier, comme un Narcisse, se mirer dans la fontaine.

Mais, hélas ! il lui manque toujours une Vénus, qui le retienne, une Vénus, qui pleure sa mort, une belle Écho, qui jette encore sur le jeune homme, glacé par le trépas, un dernier regard avant de se perdre dans l’air [1]....

  1. Nous ne traduisons pas les trois pages qui terminent la première partie des Lettres écrites de Suisse. Werther se rend à Genève, et il s’y donne la satisfaction de compléter ses études. Il a voulu sans doute se procurer une jouissance purement esthétique, mais le récit et le tableau qu’il en fait sont de nature à égarer les sens plutôt qu’à former le goût.