Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/370

Cette page n’a pas encore été corrigée

et nous trouvâmes le très-vieux gouverneur assis à une table, tout près de la fenêtre. Il nous tournait le dos. Devant lui était un grand monceau d’enveloppes de lettres jaunies, dont il coupait fort tranquillement les feuilles non écrites, nous donnant ainsi à connaître son humeur économe. Pendant qu’il était livré à cette occupation paisible, il querellait et maudissait horriblement un homme de bonne mine, qu’à son vêtement nous jugeâmes devoir être un Maltais, et qui se défendait avec beaucoup de calme et de précision, pendant les rares intervalles qui lui étaient laissés. Sans perdre contenance, l’homme injurié et maltraité cherchait à écarter un soupçon que le gouverneur avait, semblait-il, conçu contre lui, pour l’avoir vu arriver et partir souvent sans autorisation. L’homme alléguait ses passeports et les relations connues qu’il avait à Naples. Mais tout cela était inutile ; le gouverneur découpait ses vieilles lettres, mettait à part le papier blanc et continuait de faire vacarme.

Outre le consul et moi, une douzaine de personnes debout, formant un grand cercle, étaient témoins de ce combat de bêtes, et nous enviaient sans doute la place que nous occupions près de la porte, comme une bonne position, pour le cas où le furieux s’aviserait de lever son bâton à crochet et de frapper à tort et à travers. Pendant cette scène, la figure du consul s’était visiblement allongée. J’étais tranquillisé par le voisinage du jovial coureur, qui, hors de la salle et devant le seuil de la porte, faisait derrière moi mille grimaces bouffonnes, pour me rassurer, si je regardais quelquefois en arrière, et pour me faire entendre que tout cela ne signifiait pas grand’chose. En effet, cette terrible affaire se termina fort doucement. Le gouverneur conclut en disant que rien ne l’empêchait à la vérité d’incarcérer le survenant, et de le laisser se débattre en prison, mais que la chose passerait pour cette fois. Le voyageur pouvait rester à Messine les deux jours qui lui étaient iixés, puis trousser bagage et ne jamais revenir. Avec une tranquillité parfaite, et sans changer de visage, l’homme tira sa révérence, salua poliment l’assemblée et nous particulièrement, car il lui fallut passer entre nous pour gagner la porte. Le gouverneur s’étant retourné en colère, pour lui jeter encore quelque invective, il nous aperçut, se calma sur-le-champ, fit un signe au