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tire les couples au sort. Sur chaque mariage qui se produit, quelqu’un, à tour de rôle, doit composer des vers. Toutes les personnes de la société, le père, la mère, les tantes, passèrent dans le chapeau, ainsi que toutes les personnes marquantes que nous savions de leur connaissance ; et, pour augmenter le nombre des candidats, nous y ajoutâmes les personnes les plus connues du monde politique et littéraire. Nous commençâmes, et quelques couples remarquables furent tirés d’abord. Chacun ne pouvait pas les célébrer aussitôt en vers. Éléonore, Ferdinand et moi et une des tantes, qui fait de très-jolis vers français, nous nous partageâmes bientôt l’office de secrétaires. Les saillies étaient heureuses pour la plupart et les vers passables. Ceux d’Éléonore surtout avaient un naturel qui les distinguait de tous les autres, un tour agréable, sans être précisément fort spirituels ; du badinage sans moquerie et de la bienveillance pour chacun. Le papa riait de bon cœur et rayonnait de joie, quand on déclarait les vers de sa fille les meilleurs avec les nôtres. Nos applaudissements sans mesure le ravissaient ; nos louanges étaient celles qu’on donne à l’imprévu ; nos suffrages, ceux qu’on adresse à l’auteur qui nous a séduits. Enfin mon tour arriva. Le ciel m’avait pourvu glorieusement : ce n’était rien moins que l’impératrice de Russie qui m’était échue pour compagne de ma vie. On rit de bon cœur ; Éléonore déclara que des noces si augustes devaient être célébrées par la société tout entière. Chacun se mit à l’œuvre ; on mordit quelques plumes. Elle eut fini la première, mais elle ne voulut lire qu’après tous les autres ; la mère et l’une des tantes ne vinrent à bout de rien ; et quoique le père eût été un peu franc, Ferdinand, malin, et la tante, réservée, on pouvait discerner à travers l’ensemble leur amitié et leur bienveillance. Enfin ce fut le tour d’Éléonore ; elle respira du fond de sa poitrine ; sa gaieté, son aisance, l’abandonnèrent ; elle ne lut pas, elle chuchota ses vers, et les posa devant moi avec les autres. Je fus surpris, effrayé ; ainsi s’épanouit la fleur naissante de l’amour, dans toute sa beauté et sa modestie. II me sembla que tout un printemps secouait sur moi ses fleurs. Chacun gardait le silence. Ferdinand ne perdit pas sa présence d’esprit ; il s’écria : « Admirable ! admirable ! il mérite ce poëme aussi peu qu’un empire. — Si