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du bon goût. À Rome, c’est le génie de l’art qui préside au travail ; ici, l’existence et la forme de la construction dépendent de circonstances accidentelles. Il est probable qu’une fontaine, admirée de l’île entière, n’existerait pas, s’il n’y avait pas en Sicile de beau marbre bigarré, et si un artiste habile à sculpter les animaux n’avait pas été alors en faveur. Il est difficile de décrire cette fontaine. Dans une place de moyenne étendue se voit un monument de forme ronde, qui n’a pas la hauteur d’un étage ; le socle, le mur et la corniche sont en marbre de couleur ; dans le mur sont ouvertes à la file de nombreuses niches, d’où s’avancent, le cou tendu, des têtes d’animaux de toute sorte en marbre blanc : chevaux, lions, chameaux, éléphants, et l’on attendrait à peine derrière cette ménagerie circulaire une fontaine, où l’on monte de quatre côtés, dans les intervalles vides, par des degrés de marbre, pour puiser une eau largement répandue.

Il en est à peu près de même des églises, où l’on voit encore dépassé le luxe des jésuites, mais ce n’est pas avec dessein et par principe, c’est accidentellement, et selon que l’ouvrier, sculpteur, ciseleur, doreur, vernisseur et marbrier, a voulu mettre en œuvre, sans goût et sans direction, dans certaines parties, ce qu’il savait faire. Au reste on observe chez eux un certain talent pour imiter la nature, comme, par exemple, dans les têtes d’animaux, qui sont assez bien exécutées. Cela excite l’admiration de la foule, dont toute la jouissance dans les arts consiste à trouver l’imitation comparable au modèle.

Vers le soir, j’ai fait une joyeuse connaissance. J’étais entré chez un petit marchand de la Grande-Rue pour acheter différentes bagatelles. Comme j’étais devant la boutique, pour examiner les marchandises, il se leva un léger coup de vent, qui, tourbillonnant le long de la rue, distribua soudain dans toutes les boutiques et les fenêtres une poussière infinie. « Par tous les saints, m’écriai-je, dites-moi d’où vient la malpropreté de votre ville ? N’y a-t-il donc pas de remède ? Cette rue le dispute en longueur et en beauté au Corso de Rome. De part et d’autre des trottoirs dallés, que chaque marchand, chaque artisan, tiennent propres en les balayant sans cesse et poussant tout à bas dans le milieu, qui en devient toujours plus sale, et vous renvoie, à