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trouverez un grand plaisir. Au reste, pour abréger les longues heures de la traversée, il m’a mis par écrit la pratique de l’aquarelle, qu’on a portée très-loin en Italie : je veux parler de l’emploi de certaines couleurs pour produire certains tons, qu’on ne parviendrait jamais à produire, si l’on ne savait pas le secret. J’en avais appris quelque chose à Rome, mais sans aucun enchaînement. Dans un pays tel que l’Italie, les artistes ont étudié à fond la chose comme elle est. Il n’y a point de termes pour exprimer la lumière vaporeuse qui flottait autour des côtes, lorsque, par une après-midi magnifique, nous sommes arrivés devant Palerme. La pureté des contours, la douceur de l’ensemble, la dégradation des tons, l’harmonie du ciel, de la mer et de la terre… Qui a vu ces choses les a toute sa vie devant les yeux. Cette fois, je comprends Claude Lorrain, et quelque jour, dans le Nord, j’espère trouver aussi au fond de mon âme et produire des images de cet heureux séjour. Que ne puis-je seulement me délivrer de toutes les petitesses aussi complètement que la petitesse des toits de chaume est bannie de mes idées sur le dessin ! Nous verrons ce que cette reine des îles pourra faire.

La réception qu’elle nous a faite ne saurait se décrire ; c’étaient les mûriers à la fraîche verdure, les lauriers-roses au feuillage toujours vert, les haies de citronniers… Dans un jardin public, on voit de larges planches de renoncules et d’anémones. L’air est doux, chaud et parfumé ; le vent est tiède. La lune se levait derrière un promontoire et se reflétait dans la mer. Et cette jouissance, après avoir été quatre jours et quatre nuits ballotté par les flots ! Excusez-moi de vous griffonner ces lignes avec une plume émoussée, trempée dans de l’encre de Chine, dont mon compagnon se sert pour ses esquisses. C’est du moins comme un chuchotement qui va jusqu’à vous, tandis que je prépare à tous ceux qui m’aiment un autre monument de mes heures fortunées. Que sera-ce ? Je ne le dis pas : je ne puis dire non plus quand vous le recevrez.

Cette feuille, mes bien-aimés, devait vous associer, autant que possible, à la plus belle jouissance ; elle devait vous offrir la description de ce vaste et incomparable golfe : de l’est, où un promontoire plus bas s’avance bien loin dans la mer, jusqu’aux