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nuer ; mais soudain ma voisine se tourna vers moi, toute calmée, et me dit : « Laissons ces moines lamper le syracuse en paix. Je ne réussis pas à en tourmenter un jusqu’à la mort, pas même jusqu’à lui ôter l’appétit. Parlons un peu raison, car enfin quelle conversation aviez-vous encore avec Filangieri ? Le bonhomme ! Il se donne bien des embarras. Je le lui ai dit souvent : « Si vous faites des lois nouvelles, nous devrons nous donner une nouvelle peine pour trouver le moyen de les violer aussi bientôt. Pour les anciennes, c’est déjà une chose faite. Voyez donc comme Naples est beau ! Les hommes y vivent depuis des siècles insouciants et joyeux, et, pourvu qu’on pende quelqu’un de temps en temps, tout le reste chemine à merveille. » Là-dessus elle me proposa d’aller à Sorrente, où elle avait un grand domaine. Son intendant me ferait manger les meilleurs poissons et la délicieuse mungana (veau de lait). L’air de la montagne et la vue admirable me guériraient de toute philosophie. Elle y viendrait ensuite elle-même, et il ne resterait plus vestige des rides que je laissais trop tôt faire leurs traces. Nous mènerions ensemble joyeuse vie.


Naples, 13 mars 1787.

J’écris encore aujourd’hui quelques mots, afin qu’une lettre chasse l’autre. Tout va bien pour moi, mais je vois moins de choses que je ne devrais. Ce lieu inspire la négligence et la paresse ; cependant je me fais peu à peu une idée plus complète de la ville. Dimanche nous allâmes à Pompeï. Il est arrivé bien des malheurs dans le monde, mais peu qui aient procuré autant de plaisir à la postérité. Je ne sais guère de chose plus intéressante. Les maisons sont étroites et petites, mais toutes sont ornées à l’intérieur de charmantes peintures. La porte de la ville est remarquable, avec les tombeaux qui y touchent. Le tombeau d’une prêtresse est en forme de banc semi-circulaire, avec un dossier de pierre, où se trouve l’inscription en grandes lettres. Par-dessus le dossier, on voit la mer et le soleil couchant. Place admirable, digne d’une si belle pensée !

Nous avons trouvé à Pompeï une bonne et joyeuse société napolitaine. Ces gens sont tout naturels et d’humeur légère. Nous avons dîné à Torre dell’Annonziata, attablés tout près de la mer.