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étions-nous arrivés à Naples, où il séjourne depuis quelque temps, qu’il nous a invités à faire avec lui une promenade à Pouzzoles et aux environs. Je pensais dès aujourd’hui au Vésuve, mais Tischbein m’oblige à faire l’autre promenade, agréable en elle-même par un temps si beau, et qui nous promet beaucoup de plaisirs et d’avantages dans la société d’un prince savant et accompli. Nous avions déjà rencontré à Rome une belle dame avec son mari, qui est inséparable du prince. Cette dame sera aussi de la partie, et l’on ne se promet que plaisirs. Je suis plus particulièrement connu de cette noble société par un premier entretien. En effet le prince me demanda dans notre première entrevue à quoi je m’occupais alors, et mon Iphigénie m’était si présente, que je pus un soir lui en donner connaissance avec assez de détails. On voulut bien m’écouter, mais je crus pourtant m’apercevoir qu’on avait attendu de moi quelque chose de plus vif et plus impétueux.

Le soir.

Il serait difficile de rendre compte de cette journée. Qui n’a pas éprouvé que la lecture rapide d’un livre qui nous entraînait irrésistiblement a exercé sur notre vie entière la plus grande influence, et a produit, du premier coup, un effet auquel une nouvelle lecture et une étude sérieuse ont à peine ajouté quelque chose dans la suite ? C’est ce qui m’est arrivé un jour avec Sacountala : et la même chose ne nous arrive-t-elle pas avec les hommes marquants ? Une traversée jusqu’à Pouzzoles, de faciles promenades en voiture, de joyeuses promenades à pied, à travers la contrée la plus étrange du monde ; sous le ciel le plus pur, la terre la plus instable ; les ruines maudites, affreuses, d’une inconcevable opulence ; des eaux bouillantes, des grottes exhalant le soufre, des montagnes de scories s’opposant à la vie des plantes, des espaces nus et tristes, puis enfin une végétation sans cesse luxuriante, qui pénètre partout où elle peut, s’élève sur tout ce qui est mort, autour des lacs et des ruisseaux, et maintient même une magnifique forêt de chênes sur les parois d’un ancien cratère.

C’est ainsi qu’on est ballotté entre les événements de la nature et de l’histoire. On voudrait réfléchir et l’on s’en trouve incapable. Cependant le vivant s’abandonne à la joie, et nous