Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/252

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prochez de me contredire dans les miennes. Je ne puis, il est vrai, m’en assurer, car, ce que j’ai écrit, je l’expédie aussitôt ; mais la chose me paraît très-vraisemblable, car je suis ballotté par des forces prodigieuses, et il est naturel que je ne sache pas toujours où j’en suis. On raconte qu’un marin, surpris en mer par une nuit orageuse, gouvernait pour gagner le port. Son jeune fils, appuyé contre lui dans les ténèbres, lui dit : « Mon père, quelle est là-bas cette folle lumière, que je vois tantôt au-dessus, tantôt au-dessous de nous ? » Le père lui promit l’explication pour un autre jour. Et il se trouva que c’était la flamme du fanal, qui paraissait tour à tour haute et basse à un œil balancé par les vagues furieuses. Moi aussi, je cingle vers le port sur une mer violemment émue, et je tiens mon œil fixé sur la flamme du fanal, et, quoiqu’elle me paraisse changer de place, je finirai par toucher heureusement le bord.

Au moment du départ, on songe involontairement à tous les départs antérieurs et aussi au départ futur, qui sera le dernier, et je suis en outre plus frappé que jamais de cette réflexion, que nous faisons trop, beaucoup trop de préparatifs pour vivre. Car, Tischbein et moi, nous tournons aussi le dos à des magnificences sans nombre et même à notre musée bien pourvu. Voici trois Junons placées l’une auprès de l’autre pour la comparaison, et nous les quittons comme s’il n’y en avait pas une !

NAPLES

Velletri, 22 février 1787.

Nous sommes arrivés ici de bonne heure. Avant-hier le temps fut déjà plus sombre, les beaux jours nous en avaient amené de nébuleux, mais quelques signes atmosphériques annonçaient que le temps allait redevenir serein, ce qui est arrivé en effet. Les nuages s’écartèrent peu à peu, le ciel bleu se montrait ça et là, et le soleil éclaira enfin notre carrière. Noua traversâmes Albano, après nous être arrêtés devant Genzano à l’entrée d’un parc, que son maître, le prince Chigi, tient (je ne dis pas entretient) d’une singulière façon. Aussi ne veut-il pas