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tiers. Ce n’est pas la première fois que je fais du principal l’accessoire. N’allons pas subtiliser et disputer là-dessus.

Je vous envoie aussi une jolie pierre gravée, qui représente un lion. Un taon bourdonne autour de son museau. Les anciens aimaient ce sujet, et ils l’ont souvent répété. Veuillez vous en servir pour cacheter vos lettres, afin qu’au moyen de cette bagatelle un écho des arts retentisse de vous jusqu’à moi.

Rome, 13 janvier 1787.

Que de choses j’aurais à’vous dire chaque jour, si la fatigue et la distraction ne m’empêchaient pas d’écrire un peu raisonnablement ! Ajoutez qu’il fait froid et qu’on est mieux partout ailleurs que dans les chambres, sans poêle et sans cheminée, où l’on ne se retire que pour dormir ou se trouver mal à son aise. Je ne puis cependant passer sous silence quelques incidents de la semaine dernière.

On voit dans le palais Giustiniani une Minerve, objet d’une profonde vénération. Winckelmann en fait à peine mention, du moins il n’en parle pas au bon endroit, et je ne me sens pas digne d’en parler. Tandis que nous considérions la statue, qui nous tenait longtemps arrêtés, la femme du concierge nous conta que c’était autrefois une image sainte, et que les Anglais, qui étaient de cette religion, avaient coutume encore de l’adorer en lui baisant la main, qui est en effet toute blanche, tandis que le reste de la statue est brunâtre. Elle ajouta que dernièrement une dame de cette religion s’était prosternée aux genoux de la statue et l’avait adorée. Pour elle, bonne chrétienne, elle n’avait pu voir sans rire une action si bizarre ; elle s’était sauvée de la salle pour ne pas éclater. Comme je ne pouvais pas non plus me résoudre à quitter Minerve, elle me demanda si j’avais peut-être une maîtresse qui ressemblât à ce marbre, puisqu’il avait tant d’attrait pour moi. La bonne femme ne connaissait que la dévotion et l’amour, et ne pouvait avoir aucune idée de la pure admiration pour un noble ouvrage, du respect fraternel pour le génie de l’homme. Nous fûmes charmés de la dame anglaise, et nous nous retirâmes avec le désir de revenir, et certainement je retournerai bientôt. Si mes amis veulent quelque chose de plus précis, ils devront lire ce que