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seins. Il sera chez vous au mois de mai, et il aura bien des choses à vous raconter. Il a voyagé deux ans en Italie. Il est mécontent des Italiens, qui n’ont pas eu assez d’égards pour les importantes lettres de recommandation qu’il avait apportées, et qui devaient lui ouvrir maintes archives, maintes bibliothèques secrètes ; en sorte qu’il n’a pas réussi complètement au gré de ses désirs. Il a recueilli de belles monnaies, et il possède, à ce qu’il m’a dit, un manuscrit qui ramène la numismatique à des caractères tranchés, comme ceux de Linné. Herder demandera sans doute des informations plus détaillées. Peut-être sera-t-il permis de prendre une copie. Il est possible de faire quelque chose de pareil. Je souhaite qu’on y parvienne. Et nous aussi, nous devrons tôt ou tard entrer tout de bon dans ce domaine.

Rome, 25 décembre 1786.

Je commence déjà à voir pour la seconde fois les meilleures choses, et au premier étonnement succèdent la familiarité et le sentiment plus pur du mérite de l’œuvre. Pour s’élever à la plus haute idée de ce que les hommes ont produit, il faut d’abord que l’âme soit arrivée à une complète liberté.

Le marbre est une matière d’un effet singulier. De là vient le charme infini de l’Apollon du Belvédère dans l’original. Le souffle sublime de la vie, de la jeune liberté, de la jeunesse éternelle, disparaît dans la meilleure copie en plâtre. Vis-à-vis de chez nous, dans le palais Rondanini, se trouve un masque de Méduse, où, sur un beau et noble visage, de grandeur colossale, est exprimée excellemment la rigidité angoissée de la mort. J’en possède une bonne copie, mais le prestige du marbre est perdu. Le noble caractère, la demi-transparence de la pierre jaunâtre, imitant la couleur de la chair, a disparu. Le plâtre, au contraire, paraît toujours crayeux et mort. Et c’est pourtant un grand plaisir d’entrer chez un mouleur, où l’on voit les beaux membres des statues sortir un à un du moule, si bien qu’on découvre dans les formes des aspects nouveaux. D’ailleurs on voit groupé ce qui est dispersé dans Rome, avantage inestimable pour la comparaison. Je n’ai pu résister à la tentation d^cheler une tète colossale de Jupiter. Je l’ai placée vis-à-vis de mon lit, dans un beau jour, afin de pouvoir lui adresser