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leur conterez ceci. On ne remarque pas l’hiver ; les jardins sont plantés d’arbres toujours verts ; le soleil luit, clair et chaud. On ne voit de neige que vers le nord, sur les montagnes les plus éloignées ; on couvre peu à peu de roseaux les citronniers, qui sont plantés dans les jardins contre les murs ; mais les orangers restent découverts ; plusieurs centaines de ces beaux fruits pendent à chacun de ces arbres, qui ne sont pas, comme chez nous, taillés et plantés dans une caisse, mais heureux et libres en pleine terre, rangés en file avec leurs frères. On ne peut rien imaginer de plus gai qu’un pareil coup d’œil. En payant un petit pourboire, on mange de ces fruits autant qu’on veut. Ils sont déjà très-bons à présent ; ils seront encore meilleurs au mois de mars. Nous sommes allés dernièrement à la mer. Nous avons fait jeter le filet, et nous avons vu paraître les plus étranges créatures, en poissons, écrevisses et monstres bizarres ; nous avons vu aussi le poisson qui frappe d’une décharge électrique la personne qui le touche.

Rome, 20 décembre.

Et cependant tout cela donne plus de peine et de souci que de jouissances. La seconde naissance, qui me transforme du dedans au dehors, continue son œuvre. Je pensais bien apprendre ici quelque chose de vrai ; mais que je dusse reprendre mes études de si loin, qu’il me fallût tout désapprendre, et même apprendre tout autrement, c’est à quoi je ne pensais pas : maintenant, je suis convaincu, et je me suis entièrement résigné ; et plus je dois me démentir moi-même, plus je suis content. Je suis comme un architecte qui avait voulu bâtir une tour et qui avait posé de mauvais fondements : il s’en aperçoit encore à temps, et il arrête avec empressement les travaux qu’il a déjà élevés hors de terre ; il cherche à étendre son plan, à le perfectionner, à s’assurer mieux de sa base, et il jouit par avance de la solidité plus certaine du futur édifice. Veuille le ciel qu’à mon retour on puisse également sentir chez moi les conséquences morales de cette vie passée dans un monde plus vaste ! Oui, comme le sentiment artiste, le sentiment moral éprouve une grande rénovation.

Le docteur Munter est ici, de retour de son voyage en Sicile. C’est un homme ardent, énergique. Je ne connais pas ses des-