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justifier. Le ciel me préserve d’affliger jamais un ami en lui exposant les motifs de cette résolution !

Je me remets ici peu à peu de mon salto mortale, et j’étudie plus que je ne jouis. Rome est un monde. Il faut des années pour s’y reconnaître seulement. Que je trouve heureux les voyageurs qui voient et qui passent !

Ce matin, les Lettres que Winckelmann écrivait d’Italie me sont tombées dans les mains. Avec quelle émotion j’en ai commencé la lecture 1 II y a trente et un ans que, dans la même saison, il arriva ici, encore plus ignorant que moi ; il avait la même ardeur germanique pour l’étude sérieuse et solide de l’antiquité et de l’art. Comme il surmonta courageusement les difficultés ! Et que la mémoire de cet homme m’est précieuse à la place où je suis ! Après les objets de la nature, qui est vraie et conséquente dans toutes ses parties, rien ne parle aussi haut que la trace d’un homme intelligent et bon, et que l’art véritable, qui est aussi conséquent que la nature. C’est à Rome qu’on peut bien le sentir, à Rome, où tant de fois l’arbitraire déploya ses fureurs, où tant de folies furent perpétuées par la puissance et la richesse.

Un passage d’une lettre de Winckelmann à Frank m’a fait un plaisir particulier. « II faut chercher tout à Rome avec un certain flegme, autrement on sera pris pour un Français. Rome est, selon moi, la grande école pour le monde entier, et, moi aussi, je suis éclairé et éprouvé. » Ces paroles s’accordent exactement avec ma manière d’observer ici, et certainement on n’a hors de Rome aucune idée de l’enseignement qu’on y reçoit. Il* faut, pour ainsi dire, naître de nouveau, et l’on reporte ses regards sur ses anciennes idées comme sur ses souliers d’enfant. L’homme le plus ordinaire devient ici quelque chose ; il acquiert du moins une idée extraordinaire, lors même que les choses ne peuvent s’identifier avec lui.

Cette lettre vous arrivera pour la nouvelle année. Recevez mes vœux pour son début. Nous nous reverrons avant qu’elle soit finie, et ce ne sera pas un petit plaisir. Celle qui vient de s’écouler a été la plus importante de ma vie. Que je meure ou que je dure encore quelque temps, tout a bien tourné pour moi.

Maintenant, un mot aux enfants 1 Vous leur lirez ou vous