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ma bonne humeur s’est trouvée en défaut, quand la fille du prétendant a aussi demandé à voir la marmotte étrangère. J’ai refusé, et je me suis replongé tout de bon dans l’incognito. Et pourtant ce n’est pas ce qu’on peut faire de mieux : je sens ici très-vivement ce que j’ai déjà pu remarquer dans le monde, c’est que l’homme qui veut le bien doit se montrer, à l’égard des autres, aussi alerte, aussi actif, que l’égoïste, le mesquin et le méchant. On voit bien la chose, mais il est difficile d’agir dans cet esprit.

Rome, 24 novembre 1786.

Je ne saurais dire autre chose du peuple de Rome, sinon que, malgré la pompe et la majesté de la religion et des arts qui l’environnent, il n’est pas, de l’épaisseur d’un cheveu, autrement que s’il vivait dans les bois et les cavernes. Ce qui étonne tous les étrangers, et ce qui aujourd’hui fait parler de nouveau, mais parler seulement, toute la ville, ce sont les assassinats, chose tout ordinaire. Quatre personnes ont été assassinées dans notre quartier depuis trois semaines. Aujourd’hui un digne artiste, un Suisse, nommé Schwendimann, médailleur, le dernier élève de Hedlinger, a été assailli absolument comme Winckelmann. Le meurtrier, avec lequel il s’est colleté, lui a porté jusqu’à vingt coups de poignard, et, comme la garde est accourue, le scélérat s’est poignardé lui-même. Au reste, ce n’est pas la mode ici : le meurtrier se sauve dans une église et tout est dit.

Il fallait donc que, pour mettre aussi de l’ombre dans mes tableaux, j’eusse à faire quelque mention de crimes et de malheurs, de tremblements de terre et d’inondations. L’éruption actuelle du Vésuve met ici en mouvement la plupart des étrangers, et il faut se faire violence pour n’être pas entraîné avec eux. Ce phénomène a réellement quelque chose de la nature du crotale, et il attire les hommes avec une force irrésistible. On dirait dans ce moment que tous les chefs-d’œuvre de Rome soient anéantis ; tous les étrangers interrompent leurs observations et courent à Naples. Pour moi, je veux persister, dans l’espérance que la montagne réservera encore quelque chose pour moi.