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scrupules de conscience portent à s’ôter la vie. On m’a fait entendre poliment que l’auteur de Werther ne trouverait sans doute pas mauvais qu’on eût mis à profit dans cette pièce quelques endroits de son excellent ouvrage. Ainsi donc je n’ai pu échapper, même dans les murs de Sparte, aux mânes irrités de l’infortuné jeune homme.

La marche de la pièce est calme et simple ; les sentiments, comme le style, sont en harmonie avec le sujet, c’est-à-dire énergiques et tendres. Cet ouvrage annonce un très-beau talent. Je n’ai pas manqué de relever, à ma manière, mais non, il est vrai, à la manière italienne, tous les mérites de la pièce. On s’est montré assez satisfait ; toutefois l’impatience méridionale demandait quelque chose de plus. Surtout on me demandait de prédire ce qu’on pouvait espérer de l’effet sur le public. Je m’en suis excusé sur mon ignorance du pays, de la mise en scène et du goût ; mais j’ai été assez franc pour ajouter que je ne voyais pas bien comment les Romains, avec leurs molles habitudes, accoutumés à voir une comédie en trois actes et, comme seconde pièce, un opéra en deux actes, ou bien un grand opéra, avec des ballets, tout à fait étrangers, comme intermède, pourraient se plaire à la marche noble et tranquille d’une tragédie, qui cheminerait, d’un bout à l’autre, sans interruption. J’ajoutai que le suicide me semblait d’ailleurs un sujet tout à fait en dehors du cercle des idées italiennes ; j’avais entendu parler presque journellement de gens qui en tuaient d’autres, mais qu’on s’ôtât la vie à soi-même, que seulement on crût la chose possible, je ne m’en étais pas encore aperçu. Après cela je me laissai instruire volontiers avec détail de ce qu’on pouvait répondre à mon incrédulité, et je me rendis sans difficulté aux arguments plausibles ; j’assurai que mon plus vif désir était de voir jouer la pièce, et de lui payer le plus sincère et le plus éclatant tribut d’applaudissements avec une société d’amis. Cette déclaration fut très-gracieusement accueillie, et j’eus tout sujet cette fois d’être satisfait de ma condescendance ; car le prince de Lichtenstein est la complaisance même, et il m’a procuré l’occasion de voir avec lui bien des chefs-d’œuvre, pour lesquels est nécessaire la permission particulière des possesseurs, et, par conséquent, une haute influence. En revanche,