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ruelles, maisonnettes, étables, arcs de triomphe et colonnes, souvent tout ensemble et si près, qu’on pourrait mettre le tout sur la même feuille. Il faudrait écrire avec mille burins : que peut faire ici une plume ? Et puis, le soir, on est épuisé et lassé devoir et d’admirer.

Excusez-moi, mes amis, si vous me trouvez à l’avenir avare de paroles. Pendant qu’on chemine, on saisit au passage ce qu’on peut ; chaque jour amène quelque chose de nouveau, et l’on se hâte aussi d’y penser et de juger ; mais ici on arrive dans une grande école, où un jour dit tant de choses, qu’on n’ose rien dire du jour. Oui, l’on ferait bien, séjournant ici des années, d’observer un silence pythagoricien.

Je suis très-bien. Le temps est brutto, à ce que disent les Romains ; il souffle un vent du midi, le sirocco, qui amène tous les jours plus ou moins de pluie ; mais je ne puis trouver ce temps désagréable, car il est chaud comme ne le sont pas chez nous en été les jours de pluie.

J’apprends sans cesse à mieux connaître et apprécier les talents de Tischbein, comme ses projets et ses vues sur l’art. 11 m’a montré ses dessins et ses esquisses, qui donnent et qui promettent beaucoup. Son séjour chez Bodmer a porté ses • pensées sur les premiers temps de la race humaine, où elle se trouva placée sur la terre et dut résoudre le problème de se rendre maîtresse du monde. Gomme ingénieuse introduction à l’ensemble, il s’est efforcé de se représenter sensiblement le monde primitif : des montagnes couvertes de riches forêts, des ravins déchirés par les eaux, des volcans éteints, laissant échapper encore un reste de fumée. Au premier plan, le tronc puissant d’un chêne antique, couché sur la terre avec ses racines à demi découvertes, sur lesquelles un cerf essaye la force de son bois : la pensée est aussi heureuse que l’exécution est agréable.

Ensuite, dans un dessin extrêmement remarquable, il a représenté l’homme à la fois comme dompteur du cheval et comme supérieur à tous les animaux de la terre, de l’air et de l’eau, sinon par la force, du moins par la ruse. La composition est d’une beauté extraordinaire ; exécutée à l’huile, elle serait d’un grand effet. Il nous en faut absolument un dessin à Weimar. Après cela, il songe à une galerie des anciens sages, dans