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fonds de ce sujet est sans doute une antique et sainte tradition, qui a permis d’assembler avec tant d’art et d’intérêt ces personnages divers, hétérogènes. Nous ne demandons ni comment ni pourquoi, satisfaits d’admirer une œuvre d’art inestimable.

Une fresque de la chapelle du Guide est moins incompréhensible et cependant mystérieuse. La vierge la plus naïvement aimable et pieuse est assise tranquille, rêveuse, occupée à coudre ; deux £nges, à ses côtés, attendent chacun de ses signes pour la servir. Ce délicieux tableau nous dit que la jeune innocence et l’application sont honorées et gardées par les puissances célestes. Il n’est besoin là ni de légende ni d’explication.

Voici, pour tempérer ces études sérieuses, une aventure amusante. Je remarquais que plusieurs artistes allemands s’approchaient de Tischbein avec un air de connaissance, m’observaient, et puis allaient et venaient. Tisclibein, qui m’avait quitté quelques moments, revint à moi et me dit : « Voici une drôle de chose. Le bruit s’était déjà répandu que vous étiez ici, et les artistes ont fixé leur attention sur le seul étranger qu’ils ne connaissaient pas. Un des nôtres affirme depuis longtemps qu’il a vécu dans votre société, et même qu’il a eu avec vous des relations d’amitié, ce que nous avions quelque peine à croire. On l’a invité à vous observer et à lever le doute. Il a soutenu, sans hésiter, que vous n’êtes pas Goethe, et que vous n’avez ni la figure ni l’air de l’étranger. » Ainsi mon incognito est, pour le moment, bien gardé et nous avons de quoi rire.

Je me mêlai donc plus librement parmi les artistes, et je demandai les noms des auteurs de divers tableaux dont la manière m’était encore inconnue. Enfin je fus attiré par un Saint Georges, vainqueur du dragon et libérateur de la jeune fille. Personne ne pouvait me dire le nom du maître. Un petit homme modeste, jusque-là silencieux, s’avança et m’apprit que ce tableau était de Pordenone de Venise ; que c’était un de ses meilleurs ouvrages, où l’on reconnaissait tout son mérite. Alors je pus m’expliquer l’attrait que j’avais senti : le tableau m’avait charmé, parce que je connaissais déjà mieux l’école vénitienne et savais mieux apprécier les mérites de ses maîtres. L’artiste qui m’avait mis au fait est Henri Meyer. Il est Suisse, et il étudie à Rome depuis quelques années avec un ami nommé