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ne fera-t-on pas pour tous ? » Mais combien je me trompais ! L’Église romaine n’avait point voulu de fête générale d’un grand effet ; chaque ordre était libre de célébrer en particulier sans bruit la mémoire de son patron : le nom de fête, ainsi que le jour solennel qui lui est consacré, est proprement celui où chaque saint paraît dans sa gloire. Mais hier, jour des Morts, j’ai été plus heureux. Le Pape célèbre leur mémoire dans sa chapelle particulière sur le Quirinal. L’entrée est libre. Je courus avec Tischbein au Monte Cavallo. La place devant le palais a quelque chose de tout particulier : elle est à la fois irrégulière, grandiose et charmante. J’ai vu les deux colosses cette fois ! Ni les yeux ni la pensée ne suffisent pour les saisir. Nous nous hâtâmes, avec la foule, de traverser la cour superbe et spacieuse et de monter l’immense escalier. Dans ces vestibules, vis-à-vis de la chapelle, en vue de la file des appartements, on éprouve un singulier sentiment, à se trouver sous le même toit que le vicaire de Jésus-Christ.

La cérémonie était commencée ; le Pape et les cardinaux étaient déjà dans l’église : le saint-père, la figure d’homme la plus belle et la plus vénérable ; les cardinaux, de statures et d’âges divers. Je fus pris d’un singulier désir que le chef de l’Église ouvrît sa bouche d’or, et, parlant de l’inexprimable félicité des âmes bienheureuses, nous jetât dans le ravissement. Mais quand je le vis tout uniment se remuer çà et là devant l’autel, et se tournant tantôt d’un côté tantôt de l’autre, en gesticulant et marmottant comme un simple curé, alors le péché héréditaire du protestant se réveilla, et le sacrifice de la messe, connu, accoutumé, ne me fit là aucun plaisir. Jésus, dès son enfance, expliqua pourtant de vive voix les saintes Écritures, et, dans sa jeunesse, il n’est certainement pas resté bouche muette pour enseigner et pour agir, car il parlait volontiers, il parlait bien et avec esprit, comme nous le savons par les Évangiles. « Que dirait-il, pensai-je, s’il entrait, et voyait son image sur la terre marmottant et pirouettant ? » Le Venio iterum crucifigi me revint à la pensée, et je tirai par la manche mon compagnon, pour passer avec lui dans les vastes salles voûtées et décorées de peintures.

Nous y trouvâmes une foule de personnes, qui étudiaient ces précieux tableaux, car cette fête des Morts est en même temps à